Une centaine de victimes et veuves de l’amiante de Dunkerque et sa région ont rallié la capitale en bus hier, pour appuyer le dépôt d’une citation directe à laquelle se sont déjà joints 1900 plaignants, au parquet du tribunal de Grande Instance de Paris. Cette procédure, engagée par l’Association-nationale- des victimes de l’Amiante et autres polluants (AVA) et celle du Nord-Pas-de-Calais (ARDEVA) permet aux victimes de faire directement comparaître, sans passer par une instruction, ceux qu’elles jugent responsables du dommage subi. L’épais dossier de 350 pages, déposé par leur avocat, Me Antoine Vey en début d’après-midi, représente leur ultime recours de voir s’ouvrir un procès pénal de l’amiante en France, pour une demi douzaine d’infractions, dont homicide et blessures involontaires, non assistance à personnes en péril, complicité de tromperie aggravée.
Un cancérogène responsable de dizaine de milliers de morts
Les victimes ont mis plus de deux ans à rassembler elles-mêmes des centaines de documents identifiant 14 personnes qu’elles souhaitent voir comparaître et s’expliquer au grand jour. Toutes ces personnes, explique Me Antoine Vey, ont agi « à différents niveaux, dans le comité permanent amiante ». Cette structure de lobbying, totalement occulte mais subventionnée par l’industrie de 1982 à 1995 « était censée fournir une information transparente aux pouvoirs publics. Les documents prouvent qu’elle a au contraire tout fait, y compris en distillant délibérément de fausses informations, pour les détourner de la seule décision à prendre pour protéger la population : l’interdiction de l’amiante » souligne l’avocat.
“35 000 personnes sont mortes entre 1965 et 1995”
Son usage n’a été proscrit en France qu’en 1997. Son caractère cancérogène et mortel, pour les personnes exposées dans leur travail sans en être protégées, ne faisait pourtant scientifiquement aucun doute depuis des années. « 35 000 personnes sont mortes entre 1965 et 1995. 3000 personnes meurent chaque année depuis des conséquences directes de leur exposition à l’amiante » résume Me Vey.
Un procès attendu depuis 25 ans
L’avocat souligne une inefficacité « inégalée » de la justice depuis. « Du jamais vu, même dans les autres scandales sanitaires-tabac et pétrole- du XXe siècle! ». Les premières plaintes de victimes touchées par des cancers de la plèvre ou des poumons liés à l’amiante remontent à 1996, dans la région ouvrière de Dunkerque, particulièrement touchée avec ses chantiers navals et son industrie sidérurgique. Depuis 25 ans, de péripétie judiciaire en instruction bâclée, « elles n’ont fait que perdre les plaignants dans un labyrinthe procédural. Alors que les victimes sont toutes mortes de la même chose, les dossiers ont été saucissonnés, par site industriel. Sur trente procédures ouvertes en parallèle, toutes instruites à Paris, et dont aucune n’est close, aucune n’a abouti à du concret » explique l’avocat, qui espère avec cette procédure, que le tribunal organisera une audience « dans un délai raisonnable », au plus tard en 2023.
Les veuves de l’amiante n’attendent que cela . « Si nous nous entêtons, ce n’est pas pour crier vengeance, ni pour réclamer des têtes, mais pour comprendre comment on en est arrivés à des dizaines de milliers de morts et éviter qu’à l’avenir on ne délivre d’autres permis de tuer en toute impunité», précise Pierre Pluta, président des deux associations de soutien aux victimes de l’amiante.
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Photo : Anne-Charlotte Compan