« Pour une femme malade de cancer, se dire qu’elle pourra un jour avoir un enfant agit comme un booster de vie. » Catherine Adler-Tal, oncopsychologue et vice-présidente d’Étincelle, croise dans les locaux de son association de plus en plus de femmes désireuses de devenir mères après un cancer. Et, lorsque cela s’avère impossible, la guérison sonne aussi comme une condamnation. « C’est en effet un terrible paradoxe, confirme Helen, 27 ans. D’un côté, les traitements vous sauvent la vie. De l’autre, ils vous privent du droit d’être mère. » Il y a huit ans, après une récidive de sa leucémie, elle subit une total body irradiation qui rend ses ovaires inactifs.
« Il y a dix ans, les bébés passaient au second plan »
Prise en charge par une équipe spécialisée en préservation de la fertilité, la jeune femme garde malgré tout l’espoir de devenir maman grâce au fragment d’ovaire alors prélevé et cryopréservé (conservé à basse température). Pour le Dr Christine Decanter, spécialiste de la médecine de reproduction à l’hôpital Jeanne-de-Flandre, à Lille, Helen fait partie des pionnières. « Il y a dix ans, ce genre de préoccupation constituait rarement une priorité, explique-elle. Le seul objectif des oncologues étant de sauver leurs patientes, les bébés passaient au second plan. » Pourtant, toutes les femmes atteintes d’un cancer devraient pouvoir préserver leur projet de maternité si elles le souhaitent car il fait partie intégrante de la guérison.
La préservation de la fertilité progresse
Le Pr Catherine Poirot, chef du service de biologie de la reproduction-Cecos de l’hôpital Tenon, à Paris, milite en ce sens depuis 1998 : « Aider ces femmes qui risquaient de rester stériles à cause du traitement était primordial. » Quatorze ans plus tard, c’est chez une petite fille de trois mois, atteinte d’une tumeur, qu’elle vient d’ailleurs de prélever du tissu ovarien. Même objectif au centre Léon-Bérard, à Lyon, où, pour améliorer la prise en charge des adolescents, la consultation pluridisciplinaire intègre des mesures concernant la préservation de la fertilité.
Un sujet à évoquer « dès le début de la prise en charge »
Cette évolution – pour ne pas dire révolution – de la pratique suscite tant d’espoir auprès des patientes qu’il semble inimaginable de l’ignorer. Pourtant, certains médecins éludent encore la question de la fertilité lors de l’annonce du plan thérapeutique ou n’ont pas le réflexe d’adresser leurs malades à des services spécialisés, bien que cette proposition fasse partie des recommandations de l’Asco (American Society of Clinical Oncology) depuis 2006.
C’est d’autant plus regrettable que, généralement, les choses doivent se faire vite : « Il est essentiel d’évoquer cette problématique dès le début de la prise en charge pour pouvoir organiser des procédures adéquates, si possible avant la chimiothérapie », insiste le Dr Catherine Uzan, chirurgien et gynécologue à l’Institut Gustave-Roussy. « Certaines patientes, essentiellement inquiètes pour leur pronostic vital, ne se posent pas la question de leur fertilité future. À nous de devancer leurs questions », conclut-elle.
Un réseau d’onco-fertilité à connaître
Cependant, et malgré les progrès récents, moins d’une dizaine d’établissements en France sont organisés pour orienter les femmes vers un service de médecine de reproduction. Un réseau d’onco-fertilité réunissant plusieurs établissements de la région parisienne (Curie, René-Huguenin, Gustave-Roussy, Antoine-Béclère, Tenon, Pitié-Salpêtrière) doit d’ailleurs se former. Tant mieux. Car, une fois les malades averties des mesures envisageables pour préserver leur fertilité, « on note chez elles une meilleure tolérance de la chimio, moins de nausées », remarque le Dr Decanter.
Travailler sur la « pulsion de vie »
Ce qui, ensuite, n’éliminera pas pour autant leur sentiment de grande fragilité face à la maternité. Difficile en effet « de ne pas éprouver une certaine dualité, observe la psycho-oncologue. D’un côté, un sentiment de joie intense, la victoire de la vie sur la mort, mais, de l’autre, l’angoisse de l’avenir et d’une éventuelle récidive. Chez ces anciennes malades, le sentiment d’être « mortelle » est démultiplié. On a beau leur rappeler que chaque femme peut faillir à son rôle de mère en ayant un accident, une autre maladie, la perspective de ne pas forcément assister à tous les anniversaires est omniprésente ». Pour accompagner ces mamans « extra-ordinaires », « il faut travailler sur la pulsion de vie, pour profiter de chaque instant ». Directe, la psycho-oncologue va jusqu’à leur dire : « Vous avez passé l’équivalent d’une grossesse à lutter contre la maladie, et vous avez gagné ! Vous n’allez pas passer le reste de votre vie à vous demander quand vous allez rechuter. Faites confiance à l’avenir, cet enfant symbolise votre victoire. » Un précieux viatique.
A LIRE
Encore combien de jours, Maman ? Ségolène de Margerie, Jacob-Duvernet, 2012.
Maman, tu seras là ? Dr Sarah Dauchy, Anne de la Brunière, Savine Pied, Nane éditions, 2012.