Souvenez-vous, en janvier 2022, Florent Pagny utilise son compte Instagram pour annoncer qu’il renonce à sa tournée à la suite d’un diagnostic d’un cancer du poumon qu’il est urgent de traiter. Depuis, la journaliste de TF1, Audrey Crespo-Mara le suit dans son parcours. Régulièrement, elle le retrouve et filme leurs entretiens. Le chanteur joue systématiquement la carte de l’honnêteté et se montre d’une détermination inébranlable. Cette transparence sur son expérience intime de la maladie est assez exceptionnelle. Certes, avant lui, certains « people » ont communiqué sur leur cancer. En 2017, Bernard de La Villardière a révélé avoir été opéré d’un mélanome à l’oreille gauche. Le journaliste de M6, âgé de 65 ans, y a laissé un bout d’oreille. Citons aussi Tahar Ben Jelloun, Patrick Chêne, Franz-Olivier Giesbert ou encore, plus récemment, Patrick Sébastien. Mais, souvent, leur « coming out » est intervenu bien après leur traversée de l’épreuve. Comme Michel Cymes.
Atteint d’un cancer du rein en 2008, le très médiatique médecin en a gardé le secret durant quatorze ans. Ce n’est qu’en octobre 2022, avec la parution de son livre témoignage Rien n’est impossible, qu’il s’est confié sur son expérience de la maladie. Il nous précise aujourd’hui : « Comme je continuais mes consultations à l’hôpital, je ne l’ai pas évoqué publiquement. Il était hors de question que mes patients me voient comme quelqu’un atteint d’un cancer. Je ne souhaitais pas non plus être un porte-parole, ni un parrain d’associations… La communication autour de cette maladie, quand on est connu, c’est ambigu. Je n’avais pas envie de prêter le flanc aux commentaires du genre : “Il parle de son cancer pour qu’on parle de lui.” »
Garder le contrôle
Mais, à l’heure de l’omniprésence des réseaux sociaux, garder le silence n’est plus vraiment une option pour les personnalités publiques qui se trouvent confrontées à cette maladie. L’enjeu est alors de ne pas laisser de place à la rumeur, de garder la maîtrise à la fois de sa communication, de son image et… de son destin. Ce que traduit très bien le journaliste sportif de France Télévisions Matthieu Lartot, dans son message posté justement sur son compte Instagram au printemps 2023, à l’attention de ses 22 000 abonnés et au-delà : « Puisque de nos jours tout se sait… autant que ce soit moi qui vous l’annonce : je suis aujourd’hui contraint de m’éloigner de l’antenne pour remonter sur le ring. […] Vingt six ans après, l’histoire bégaie malheureusement », écrit le journaliste, touché par une récidive d’un sarcome au genou. « Il y avait de 1 à 5 % de chance que ça arrive, et c’est arrivé. Ça va secouer très fort, mais je suis prêt, et très bien entouré […]. » Après une chimiothérapie et l’amputation de sa jambe droite, il a repris la parole – toujours sur les réseaux sociaux – le 7 juillet : « Le chemin de la rééducation a débuté depuis deux semaines et le moral est au top ! […] Il me reste beaucoup de travail pour remarcher, mais je donne tout pour revenir au mieux. Il faut savoir profiter chaque jour des petits progrès, pas à pas… » Son optimisme et son courage ont été salués par ses collègues, mais aussi par des personnalités du monde sportif et de très nombreux téléspectateurs, qui lui ont témoigné soutien et encouragements.
Quand Jean-Pierre Pernaut ose parler de son cancer de la prostate
Si la parole d’animateurs télé, de chanteurs, d’écrivains ou même de joueurs de foot (l’attaquant Sébastien Haller a fait l’objet en 2023 d’un documentaire diffusé sur Canal+ sur son combat mené contre un cancer des testicules) semble se libérer ces dernières années, c’est dans le sillage d’un pionnier : Jean-Pierre Pernaut. Star du JT de 13 heures sur TF1, il est l’homme le plus regardé de France lorsque, le 25 septembre 2018, il écrit ce Tweet : « J’ai un cancer de la prostate, tout va bien. » Sa première réaction avait pourtant été de n’en parler qu’à son épouse, Nathalie Marquay-Pernaut. « Ah, il était mal tombé avec moi ! J’ai eu une leucémie en 1997. Je sais que pour guérir, il faut prononcer le mot cancer, j’ai toujours refusé que ce soit tabou. On s’enterre si on n’en parle pas », confie-t-elle. Ensemble, ils décident de dire la vérité au public : « De toute façon, Jean-Pierre devait s’absenter de l’antenne pour être opéré. Mieux valait être transparent. On a rédigé un communiqué de presse pour qu’on ne nous vole pas l’annonce et pour rester maîtres des mots », se souvient l’épouse du journaliste. En 2020, Jean-Pierre Pernaut, alors en rémission, intervient encore pour témoigner de son expérience dans l’émission Stars à nu, un programme de divertissement produit par Satisfaction, la société de production d’Arthur, dont l’objet était de sensibiliser les Français aux gestes de prévention des cancers. Cette cause est chère au journaliste, et il se livre avec une sincérité totalement décomplexée. Son passage fera date : « Il a osé parler d’incontinence, de couches… Au début, avec moi, il n’évoquait pas tout ça. Il avait un peu honte. Je comprends, il faut pouvoir accepter, se rappelle Nathalie Marquay-Pernaut. Je lui ai expliqué que ça ne changeait pas mon regard sur lui, ni mon amour. Dans cette émission, j’ai vu sa détermination à faire passer le message du dépistage, j’étais extrêmement fière de lui. J’ai l’impression qu’il a contribué à une forme de libération de la parole sur ce sujet. »
Sur cette idée de « libération », on reste plutôt dubitatif du côté de Cerhom. Voilà vingt ans que cette association, consacrée aux hommes atteints de cancer, lutte pour la prévention des pathologies cancéreuses, mais aussi pour que les hommes se sentent libres de prendre la parole sur ce qu’ils vivent. Or, en 2023, « c’est encore compliqué, notamment chez les plus âgés, constate son vice-président, Christian Wiltord. Culturellement, un homme ne se plaint pas. D’ailleurs, à l’association, ce sont souvent les femmes qui posent les questions que leurs maris n’osent pas aborder. » Alors que l’autopalpation, ou le toucher rectal chez l’urologue, constitue un geste basique de prévention du cancer de la prostate ou des testicules, beaucoup d’hommes rechignent à le faire, et lorsqu’ils sont touchés par la maladie il est encore rare qu’ils en parlent. Freinés par quoi ? La pudeur, la honte ? Sans doute, mais aussi par une certaine idée de ce qu’est « être un homme », en particulier face à ce type de cancers auxquels sont associés des mots comme impuissance, infertilité, ou encore incontinence… Des maux tabous.
Une peur paralysante
C’est à d’autres types de cancer que Jean-Louis Gay a été confronté. A 54 ans, il est frappé d’un lymphome de Burkitt suivi, cinq ans plus tard, d’une leucémie myéloïde. Au moment du premier diagnostic, c’est un chef d’entreprise épanoui, un mari heureux, un père de quatre enfants, qui vit sa maladie quasiment dans le silence. C’était il y a près de vingt ans, mais il se souvient qu’avec ses amis, même très proches, les discussions viraient au poker menteur. Chacun savait mais faisait semblant de rien. « On abordait d’autres sujets. On riait aussi beaucoup, mais on en parlait peu. » Il y a quelques années, Cerhom a tenté de créer des groupes de parole, mais les sessions se sont rapidement arrêtées… faute de participants. Une ligne téléphonique a depuis été mise en place. Les membres bénévoles, qui écoutent, consolent et conseillent à l’autre bout du fil, constatent que les hommes parlent plus facilement quand ils sont anonymes – parfois, même, ils s’autorisent à s’écrouler. « La limite, c’est le psy. Dès qu’on les invite à consulter, la porte se referme. Il y a encore dans l’inconscient masculin, et des seniors en particulier, cette croyance que si on va chez le psychologue, c’est qu’on est fou. Ou que c’est un aveu de faiblesse », rapporte Christian Wiltord. Cela dit, les mentalités évoluent. Lui qui a vaincu un cancer de la prostate l’observe chez les plus jeunes. « Ils sont davantage capables d’évoquer leurs angoisses. Ils s’intéressent à leur corps, ils sont plus ouverts à l’échange avec un psychologue et peuvent aussi passer par l’humour pour dédramatiser.»
Malgré tout, quel que soit l’âge, certains problèmes tels que l’impuissance ou l’infertilité restent encore bien difficiles à verbaliser : « Le sexe lié à la virilité est encore une notion très présente dans l’esprit des hommes », analyse le vice-président de Cerhom. Cette façon d’aborder la chose évoque des souvenirs à Nicolas Gob, vedette masculine de la série L’Art du crime (France 2). À 26 ans, le comédien ressent des douleurs diffuses au niveau de ses parties génitales. Il les supporte pendant un mois et demi, « comme si les occulter allait les faire disparaître », soupire-t-il. Puis, le jour arrive où il ne parvient plus à ignorer le mal. « Je suis allé voir le médecin. À force d’avoir peur et d’attendre, je me suis retrouvé avec des métastases ailleurs. J’aurais pu éviter que ça se propage en consultant dès les premiers signes. Quand on m’a annoncé que j’avais un cancer des testicules, je n’ai pas compris ce qui m’arrivait. De manière débile, j’ai remis ma virilité en question, comme si la place de l’homme dans la société se définissait par cela. » Il aperçoit la mort dans le rétroviseur. Il décèle aussi cette angoisse dans les regards de ses proches et se surprend à les rassurer.
Aujourd’hui, il affirme – un peu bravache : « Je ne regrette pas ce cancer ! Ç’a été une grande claque qui m’a remis dans un bon équilibre ! » Au fil de son parcours, il a fait un travail sur lui et sur son rapport à la masculinité. Sa conclusion est, à présent, sans appel : « Ma virilité, je n’en ai rien à foutre ! Le machisme ne grandit pas les hommes, et ça ne raconte rien de leurs valeurs humaines. Sans doute, s’ils plongeaient davantage dans leur sensibilité et l’acceptaient comme une vertu, cela signerait-il la fin des guerres. J’aime la virilité quand elle est associée à de la sensualité, sinon, seule, cette notion ne sert à rien. Elle est juste poussiéreuse. » À 40 ans, Nicolas Gob est aujourd’hui père de Lily-Rose et de Marlon. « On peut donc avoir des enfants avec une seule couille. C’est une bonne nouvelle, non ?! » plaisante-t-il.
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Des clichés sur la masculinité qui ont la peau dure
Face à la maladie, deux autres préoccupations atteignent douloureusement les hommes : l’atteinte à leur intégrité physique et à leur dignité et la perte d’autonomie. « Ma première honte, ç’a été de confier mon corps nu, en mauvais état, au regard de jeunes infirmières. J’avais perdu 25 kg, mes muscles avaient fondu, je me voyais flasque. Tous les soins ont été un calvaire. C’est une infirmière un peu plus âgée qui m’a dit : c’est notre travail, laissez-nous le faire », se remémore Jean-Louis Gay. De retour chez lui, il supporte mal l’idée que son épouse devienne sa garde-malade : « J’avais envie de prouver que je pouvais me débrouiller seul. » Seulement, avec les aléas de la maladie et du parcours de soins, il a bien fallu qu’elle prenne la main et gère tout le quotidien. « J’ai eu beaucoup de mal à l’accepter. » Lui, l’homme d’affaires, le décisionnaire, était devenu dépendant, et « par moments cela m’énervait, alors que ma femme était dévouée. Je m’en voulais… Pour les aidants, le juste milieu est dur à trouver ». Quand il évoque cet épisode de la vie de son couple, la voix de Jean-Louis Gay s’étrangle au téléphone : « À cause de la maladie, j’ai mis la vie de mon épouse entre parenthèses. Ça me mine encore. »
« Une éducation quasi séculaire a été donnée aux hommes qui leur enjoint de cacher leur vulnérabilité, leurs fragilités et leur impuissance », relève la psychologue et psychanalyste Catherine Grangeard. Si naître homme est un fait biologique, être viril est une construction sociale qui véhicule des notions telles que la force, le pouvoir, la réussite, la conquête, y compris sexuelle… Ces normes culturelles constituent encore des freins à la libération de la parole masculine. Non seulement les hommes reconnaissent plus difficilement qu’ils vont mal et ont moins recours aux soins médicaux que les femmes (jusqu’à l’âge de 65 ans, selon l’Insee), mais aussi ils sont plus enclins au suicide (75 % des personnes qui se suicident en France sont des hommes), parce qu’ils ne s’autorisent pas à parler et ne font que très rarement appel à des structures d’aide. Dans le domaine du cancer, le contraste entre hommes et femmes dans l’approche de la maladie se mesure chaque année. Alors que le mouvement Octobre rose, destiné à inciter les femmes au dépistage du cancer du sein et à récolter des fonds pour la recherche, bénéficie d’un puissant écho et s’est imposé comme un rendez-vous incontournable et presque banal, l’écrasante majorité des Français ignore que le mois de novembre est dédié à son pendant masculin. Movember, ou Novembre bleu, a pour but de sensibiliser l’opinion publique aux maladies masculines telles que les cancers de la prostate et des testicules, mais aussi à la santé mentale et à la prévention du suicide. Son signe de ralliement ? La moustache. Et si, pour contribuer à changer le triste visage de la santé masculine, les filles apportaient leur soutien à la cause des hommes en portant… des bacchantes postiches ? ! Ne serait-ce qu’une heure ? Allez, chiche !
À VOIR : Une pièce ose le ton de la comédie pour traiter du cancer de la prostate et de ses conséquences sur la vie d’un homme et de son couple. Radicale est à l’affiche à Paris jusqu’en janvier 2024 au théâtre de l’Essaïon.
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 25, p.62)