Une tresse, qui fait le lien entre les héroïnes de votre roman, fournit le matériau d’une perruque, coiffure emblématique des femmes touchées par le cancer.
L.C. Oui, car la genèse même de ce roman est intimement liée au cancer d’une de mes meilleures amies, Olivia. Le livre lui est dédié. Des amis avaient déjà traversé des cancers, mais, là, il touchait une très proche, une jeune femme avec de tout petits enfants, comme un miroir de moi-même. Le jour de l’annonce du diagnostic, d’un seul coup, je me suis sentie, avec elle, basculer dans un autre monde : la sidération, les montagnes russes émotionnelles… Tous ces sentiments- là, je les ai vécus à ses côtés.
Un jour, au début des traitements, Olivia m’a appelée pour que je l’accompagne choisir sa perruque. Elle se préparait à la deuxième chimio et savait qu’elle allait perdre ses cheveux. Et là, à côté d’elle, dans ce salon, j’ai eu un flash. J’ai « vu » mon livre. Il y a une dizaine d’années, j’avais regardé un documentaire sur les intouchables, en Inde, qui coupaient leurs cheveux dans les temples. Ils étaient récupérés pour fabriquer des perruques en Occident. C’est le début de mon histoire. Et mon amie malade qui essayait une perruque constituait en quelque sorte la fin de la vision – le bout du fil, dix ans plus tard. Je me suis dit : « Je dois écrire ça ! Je dois écrire sur les femmes, leur courage, sur celles qui se battent contre l’adversité . » Voilà comment est née La Tresse. Durant un essayage de perruque ! Ensuite, l’écriture du roman a accompagné les traitements de mon amie. Et j’ai reçu le premier tirage du livre le jour précis où elle a appris sa rémission. Une drôle de coïncidence, non ?
Sarah, votre héroïne, est une « superwoman ». Une avocate qui, confrontée au cancer, voit sa vie professionnelle s’écrouler.
Sarah est poussée vers la sortie par son entreprise à cause de son cancer. Cela n’a pas du tout été le cas de mon amie Olivia, qui a rencontré une grande bienveillance sur son lieu de travail, mais je sais que les discriminations à l’emploi sont nombreuses pour les malades [une personne sur cinq s’estime discriminée à cause de son cancer, NDLR]. Sarah est un personnage très brillant, la seule femme partenaire de son cabinet d’avocats. Malgré son engagement, le cancer signe sa descente aux enfers sociale.
Au début, elle décide de cacher sa maladie. Mais une collègue découvre le secret et la dénonce. Son patron lui retire sa confiance de peur qu’elle ne soit pas toujours à 100 % de ses capacités. Son environnement professionnel se délite. Elle est exclue, déclassée. Elle ouvre les yeux sur une réalité cruelle : elle vit dans un monde de requins où, dès qu’on soupçonne chez elle une baisse de performance, on l’écarte. À la souffrance physique s’ajoute la souffrance morale. Le cancer est le révélateur de la vraie nature des gens qui vous entourent. Il met en lumière la violence latente dans les entreprises, les dysfonctionnements dans les rapports amicaux, familiaux…
Sarah reprend pied grâce à ses enfants…
Oui, cette femme a été, toute sa vie, déchirée entre deux injonctions contradictoires : être une parfaite professionnelle et la mère de ses enfants. Lorsque la maladie la frappe, c’est une chape de plomb qui lui tombe dessus : si elle meurt, ses enfants grandiront sans elle. C’est simple et très concret. Elle commence par glisser vers la désespérance avant de se recentrer sur le principal : ses enfants. Ce sont eux qui la ramèneront à la surface, la pousseront hors de l’abîme de la dépression. Je crois que l’expérience du cancer remet les choses à leur juste place. Permet de relativiser, de séparer l’essentiel – ce qui est vraiment essentiel, la vie, l’amour des siens – de l’accessoire.
Le cancer de votre amie a-t-il changé des choses dans votre vie ?
Oui. Énormément de choses. Tout d’abord, j’ai revu mon hygiène de vie. J’ai lu les livres de David Servan-Schreiber. J’ai changé radicalement mon alimentation. Je me suis mise à la méditation, qui a aujourd’hui pris une place importante dans ma vie. J’ai réalisé aussi que nous n’avions pas de temps à perdre en choses dérisoires. Enfin, j’ai vécu au plus près cette traversée intime du cancer et, comme mes héroïnes qui changent de vie, chacune à sa manière, ce long voyage m’a changée. La Tresse est le fruit d’une aventure amicale, intime. Je suis initialement cinéaste et, aujourd’hui, j’ai l’impression de savoir davantage ce que je veux raconter, porter. J’ai, moi aussi, en accompagnant mon amie le long de son cancer, regardé la vie autrement, relativisé beaucoup de choses, évolué. Quasiment une thérapie de psy !
Une ode au courage des femmes
Le récit entrelace les destins de trois femmes. L’intouchable Nita, en Inde, fuit son village pour que sa fille puisse aller à l’école. En Italie, Giulia reprend l’atelier familial de perruquerie, proche de la faillite. Sarah, avocate au Canada, affronte un cancer et les discriminations liées à sa maladie. Lien entre ces trois femmes, la longue tresse que Nita sacrifie dans un temple, en un nouveau départ. Passée par les mains de Giulia, elle devient la perruque que coiffe Sarah, dans un dernier chapitre sous le signe de la renaissance.
Parue aux éditions Grasset en mai 2017
Mini Bio
- 1995 Entrée à l’école Louis-Lumière
- 2002 Sortie de À la folie… pas du tout, son premier long-métrage
- 2010 Naissance de sa fille.
- 2017 Sortie de La Tresse, son premier roman
Propos recueillis par Céline Lis-Raoux