« Une révolution ! ». « Une avancée majeure ». Ces commentaires enthousiastes ont été exprimés par des oncologues, pourtant réputés sérieux et peu versés dans l’hyperbole. A l’origine de cet unanime contentement, le cas d’une patiente américaine atteinte d’un cancer du sein métastatique.
La quadragénaire, réfractaire à la chimiothérapie et l’hormothérapie, souffrait de métastases qui avaient atteint son foie et a été incluse dans un essai clinique conduit par l’équipe du Dr Rosenberg du Center for Cancer Research (CCR) de Bethesda (Etats-Unis). Les chercheurs ont isolé les lymphocytes T1 ayant infiltré sa tumeur. Ils ont ensuite sélectionné ceux qui attaquaient les protéines mutées présentes spécifiquement dans la tumeur. Après les avoir fait se multiplier en laboratoire, les cellules ont été réinjectées à la patiente en combinaison avec l’anticorps KeytrudaTM (pembrolizumab anti-PD1) afin d’empêcher l’environnement tumoral de contrecarrer l’action du système immunitaire.
L’immunothérapie (voir notre article « L’immunothérapie, un traitement révolutionnaire ? ») est une technique qui consiste à « donner un coup de pouce à nos propres défenses immunitaires pour combattre le cancer ». Les tumeurs malmènent notre système immunitaire, notamment en se dotant d’une « cape d’invisibilité » qui les rendent indétectables aux globules blancs, les « gendarmes » du corps. Pour booster nos défenses, les chercheurs ont plusieurs outils : des médicaments (anticorps monoclonaux) qui vont lever cette « cape » et permettre à notre système immunitaire de reconnaître la tumeur. Et puis, il y a le transfert de cellules immunitaires autologues. Cette approche consiste à transférer au patient ses propres cellules qui auront été éduquées au préalable à s’attaquer au cancer.
« C’est un résultat spectaculaire »
Chez cette patiente américaine, après six semaines de ce traitement, la tumeur avait déjà réduit de 51%. La tumeur ainsi que les métastases ont ensuite régressé avant de disparaître. Et l’effet dure… depuis 22 mois ! Du jamais vu.
Le Dr Olivier Mir, oncologue à l’Institut Gustave Roussy, reconnaît la prouesse : « Le concept est magnifique : guérir un cancer du sein métastatique, ça n’arrive pas tous les jours.» Olivier Tredan, oncologue au Centre Léon-Bérard renchérit : « C’est un résultat spectaculaire basé sur une science bien faite. L’approche avec des cellules armées a été très peu utilisée dans le cancer du sein et les premiers résultats n’étaient pas forcément probants. Le cancer du sein métastatique positif pour les récepteurs aux hormones reste incurable à ce jour. Cela représente 12 000 décès par an. C’est donc un espoir formidable.»
Un résultat d’une telle ampleur est d’autant plus inattendu que le cancer du sein présente peu de mutations. Contrairement au mélanome, au cancer du poumon induit par la cigarette ou au cancer de la vessie pour lesquels l’immunothérapie avait déjà montré son efficacité.
Un cas isolé à confirmer
Il faut toutefois rester prudent. « Il s’agit d’un cas isolé sorti d’un essai clinique. Nous n’avons pas plus d’information sur le nombre de femmes qui ont reçu le même traitement et comment elles ont réagi. Nous ne savons pas combien de tentatives ont échoué avant cela. Nous ne savons pas non plus s’il s’agit d’une guérison complète ou d’une rémission temporaire. Si la tumeur se réactive, il n’est pas dit qu’un nouveau traitement serait efficace » explique Olivier Mir.
Sans doute une dizaine d’années avant d’être proposé en routine
Les oncologues soulèvent aussi le problème de la faisabilité. « Le procédé requiert une équipe d’une dizaine de personnes à temps plein pendant 3 ou 4 mois pour un seul malade. Le cancer du sein est le premier cancer féminin, il est donc impossible de mobiliser autant de personnes » précise le Dr Olivier Mir. « C’est enthousiasmant mais on ne va pas le proposer demain à nos patientes » confirme le Dr Olivier Tredan. Pour se démocratiser, il faudrait que le procédé se développe à une échelle industrielle. Il faudra donc encore probablement une dizaine d’années avant que le traitement puisse être proposé en routine.
Une technique à 475.000 dollars
Et il y a évidemment le problème du prix comme le rappelle le Dr Olivier Mir : « Aux Etats-Unis, un traitement assez similaire de réinjection de globules blancs, le Car-T-Cell proposé par Novartis, est facturé 475 000 dollars par patient. Le traitement du Dr Rosenberg est moins complexe mais le coût s’élèvera probablement à plusieurs centaines de milliers d’euros. Évidemment, si le traitement se généralise, le prix pourrait diminuer. C’est comme pour le séquençage. Avant, il fallait plusieurs dizaines de milliers d’euros pour séquencer l’ADN d’une tumeur. Aujourd’hui, c’est fait pour 500€. »
Un traitement pour tous les cancers
Ce traitement représente tout de même un véritable espoir. Et pas seulement les femmes atteintes d’un cancer du sein comme l’explique le Dr Rosenberg : « Tous les cancers ont des mutations et c’est ce à quoi s’attaque l’immunothérapie. Il est ironique que ce soit justement les mutations qui causent le cancer qui pourraient être les meilleures cibles pour le traiter. »
1. Les lymphocytes T sont des cellules du système immunitaire qui reconnaissent spécifiquement les cellules considérées comme étrangères à l’organisme : cellules infectées, cellules cancéreuses…