Manon a 36 ans. Il y a 4 ans, on lui diagnostique un cancer du sein hormonodépendant. Alors, après la chirurgie et la radiothérapie, elle est mise sous hormonothérapie – sous tamoxifène plus précisément – afin de prévenir les récidives. Elle devra suivre ce traitement pendant au moins 5 ans. Manon est jeune et en couple alors forcément, elle aimerait fonder une famille. En septembre dernier, elle en parle à son oncologue qui lui autorise une “fenêtre thérapeutique”, c’est-à-dire un arrêt transitoire de son hormonothérapie, pour concevoir un enfant. Avant de se lancer, on lui précise qu’elle devra “juste” attendre 3 mois après la dernière prise du médicament, le temps que celui-ci soit éliminé de son organisme, afin d’éviter que le fœtus soit exposé à ce produit tératogène1. Mais la jeune femme n’est pas pressée. « Je suis porteuse du gène BRCA2. Ma mastectomie bilatérale préventive était programmée pour janvier. Je n’étais pas encore prête à penser à une grossesse. J’avais besoin de me préparer psychologiquement à l’opération. L’étape suivante pour moi c’était me reposer et accepter tout ça. »
6 mois de plus
Trois mois plus tard, au détour d’une discussion sur la durée de son hormonothérapie – qui pourrait être allongée à 6 ou 7 ans -, son oncologue lui annonce une nouvelle qui va l’obliger à revoir ses plans. « Elle m’a dit : “Je dois être honnête avec vous, on est un peu embêtés car l’ANSM vient de publier une recommandation qui rallonge le délai entre le moment où vous arrêtez le tamoxifène et celui où vous pouvez faire un enfant. Le délai est passé à 9 mois au lieu de 3. » C’est la douche froide. Neuf mois. Comment ne pas faire le parallèle avec la durée d’une grossesse…
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Cette décision de l’ANSM fait suite à des recommandations de l’Agence européenne du médicament (EMA) sur la durée de la contraception après l’arrêt d’un traitement génotoxique2 publiées en 2020. « Elle ne s’est pas appliquée tout de suite au tamoxifène car on ne savait pas s’il entrait dans le cadre de cette recommandation, explique le Dr Christine Rousset-Jablonski, gynécologue médicale au Centre Léon Bérard (Lyon). En janvier 2021, l’EMA a finalement considéré que oui, et cela a été mis en application en France par l’ANSM à partir d’avril 2021. »
Le tamoxifène pourrait entraîner des mutations dans l’ADN des gamètes. Il faut donc attendre que les ovocytes potentiellement endommagés soient éliminés au cours du processus naturel de folliculogenèse avant d’envisager une grossesse. Soit 6 mois. Six mois qui s’ajoutent aux 3 mois initiaux. Neuf mois. Le compte est bon. Sauf pour Manon. « Ça a été un choc. Je pensais avoir plus de temps pour y réfléchir, voir comment je me sentirais après l’amputation de mes seins… J’étais déçue parce que cela m’obligeait à anticiper beaucoup plus. C’est comme si vous construisiez une maison, que vous étiez en train de réfléchir aux gros œuvres et qu’on vous disait qu’il fallait penser dès maintenant à la déco. Ça bouscule. »
Changer d’hormonothérapie en attendant
Le rallongement de la durée de l’arrêt du tamoxifène s’accompagne d’une autre annonce. Manon ne peut pas rester sans traitement préventif pendant 9 mois. Trop risqué. Il faut qu’elle prenne un autre type d’hormonothérapie : une combinaison d’anti-aromatase et d’agoniste de la GnRH. Son avantage : « Il n’y a pas de délai avec ces traitements avant d’envisager une grossesse. Il faut juste attendre que les cycles reprennent après leur arrêt » précise le Dr Christine Rousset-Jablonski. Son inconvénient : ses effets indésirables. « Je n’ai pas encore commencé le traitement mais mon oncologue m’a prévenue que je pouvais avoir plus de bouffées de chaleur et des douleurs articulaires, raconte Manon. Mais je me sens prise en charge, protégée, c’est appréciable. »
Toutes les femmes dans le cas de Manon n’acceptent pas aussi bien cette double peine, comme en convient le Dr Rousset-Jablonski : « Certaines de mes patientes ont pleuré quand je leur ai annoncé parce qu’elles avaient peur de mal tolérer ce nouveau traitement. Quelques-unes ont décidé de ne pas attendre les 9 mois. C’est compliqué, on essaie de les accompagner au mieux… »
INFO + : 3 questions au Dr Christine Rousset-Jablonski
Y-a-t-il un risque pour les bébés nés avant cette recommandation, c’est-à-dire avant les 9 mois d’arrêt du tamoxifène ?
Il est compliqué de répondre à cette question car le caractère génotoxique du tamoxifène est encore incertain. Des études in vitro et in vivo chez des rongeurs ont montré qu’il l’était potentiellement, mais cela reste incertain pour l’espèce humaine. C’est donc le principe de précaution qui a été appliqué.
Il faudra attendre les résultats de l’étude POSITIVE3 qui évalue l’impact d’une interruption transitoire de l’hormonothérapie pour un projet de grossesse. Le but premier de cet essai clinique est d’évaluer les risques de récidive sur 10 ans mais il y aura aussi des données sur les enfants nés de ces grossesses. On y verra plus clair à ce moment-là.
À présent, proposez-vous d’emblée une autre hormonothérapie que le tamoxifène aux femmes qui ont un projet de grossesse ?
Cela dépend. Comme, dans tous les cas, on leur recommande d’avoir pris au moins 2 ans d’hormonothérapie avant d’envisager cet arrêt transitoire, on peut commencer par du tamoxifène et ne changer d’hormonothérapie que 9 mois avant le projet de bébé.
Chez les femmes jeunes, de plus en plus d’oncologues prescrivent des agonistes de la GnRH et des anti-aromatases dès le début parce que les indications se sont élargies. Cette combinaison est notamment privilégiée en cas d’envahissements ganglionnaires.
Finalement, ces nouvelles recommandations impactent surtout les femmes qui sont sous tamoxifène depuis au moins 2 ans mais moins de 5 ans ?
Tout à fait. Pour elles, la durée de l’interruption de l’hormonothérapie doit être la plus courte possible car elles n’ont pas bénéficié de la durée minimale de protection conférée par hormonothérapie qui est de 5 ans. C’est pour cela que les 9 mois d’arrêt ne paraissent pas être une bonne chose et qu’on leur propose une autre hormonothérapie. Pour les femmes qui sont sous tamoxifène depuis au moins 5 ans, c’est moins problématique.
Emilie Groyer
2. susceptible d’altérer le génome
3. Pregnancy Outcome and Safety of Interrupting Therapy for Women With Endocrine Responsive Breast Cancer (POSITIVE)