La santé digitale – comprenez la santé assistée par des outils numériques tels que des applications mobiles – a pris son essor grâce à la crise sanitaire du Covid19. Loin d’être un gadget, elle trouve aujourd’hui toute sa place dans le parcours de soin des patients, notamment en oncologie. Une séance plénière lui a d’ailleurs été dédiée lors du dernier congrès MASCC sur les soins de support. Le Dr Lemaire, spécialiste de la douleur et des soins palliatifs, chef du pôle Cancérologie et Spécialités Médicales du Centre Hospitalier de Valenciennes, nous résume ce qu’il faut en retenir.
Comment la santé digitale peut-elle aider les patients ?
Dr Lemaire : Aujourd’hui, la e-santé est utilisée dans différents domaines : la surveillance à distance des patients ; les « soins virtuels » comme les téléconsultations ; et le pilotage des soins à domicile.
L’atout majeur de ces outils est de gagner du temps, ou plutôt éviter d’en perdre. Pour les patients d’abord en leur évitant de se déplacer inutilement à l’hôpital ou d’attendre trop longtemps qu’on leur propose un rendez-vous de consultation. Et pour les équipes d’oncologie qui peuvent optimiser leur agenda et se focaliser sur les traitements et les soins de support. On fluidifie le parcours de soin et on améliore l’ergonomie de travail, et par conséquent, la qualité de vie au travail des soignants.
La santé digitale casse également la barrière ville-hôpital en permettant de continuer à suivre nos patients entre leurs cures, quand ils ne sont plus suivis à l’hôpital et qu’ils sont de retour à domicile. On peut surveiller en temps réel leurs symptômes et intervenir plus tôt si un événement clinique, une réaction au traitement par exemple, se produit.
Ces outils digitaux ne rendent-ils pas les soins moins humains ?
C’était en effet l’une de nos craintes mais les études et la pratique notamment de la télémédecine montrent que le lien est maintenu, voire décuplé. Dans certains cas, ils permettent même de mieux évaluer objectivement la situation du patient. Grâce aux PRO [Patients-Reported Outcomes, outils qui permettent aux patients de renseigner eux-mêmes leurs données de santé, NDLR], on a montré par exemple que les praticiens ont tendance à sous-estimer les symptômes de leurs patients. Cela conforte l’idée que le patient est le meilleur indicateur de son état de santé.
Évidemment, le digital ne doit pas remplacer les consultations physiques. On doit y avoir recours quand c’est nécessaire, notamment pendant les périodes de tension ou pour optimiser certains aspects spécifiques du parcours de soin.
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Peut-on vraiment tout faire avec la santé digitale ?
La technologie numérique en soin de support peut être utilisée en psycho-oncologie, dans le domaine de l’éducation thérapeutique, pour la remontée d’informations cliniques par le patient, l’évaluation du soin, pour accompagner des changements de style de vie, de comportements ou encore auto-gérer sa pathologie.
Mais, si on peut y avoir recours dans tous ces domaines en théorie, la santé digitale n’est pas forcément pertinente dans tous les champs de la pratique clinique : c’est donc toujours un projet médical qui doit guider son déploiement, et non par exemple un effet de mode ou d’opportunité. Des études ont montré qu’elle aide à gérer les symptômes comme la douleur, la fatigue et les troubles du sommeil, les effets secondaires des traitements du cancer, favorise l’implication du patient dans ses soins. En revanche, nous n’avons pas assez de preuves pour démontrer qu’elle réduit la détresse psycho-sociale ou mentale ou qu’elle peut jouer un rôle éducationnel dans la lutte contre les facteurs de risque, par exemple.
Depuis la crise sanitaire, les applications santé se multiplient. Il est parfois difficile de s’y retrouver. Comment faire son choix ?
Il y a en effet beaucoup d’applications disponibles mais une étude a montré que seulement 43% des applications iOS et 27% des applications Android sont suffisamment évaluées pour prouver leurs bénéfices sur la santé des patients. Ces taux sont plutôt bas. Cela corrobore les données de la littérature qui montrent que le corps médical n’est pas toujours associé au développement de ces outils. Il faut donc être vigilant. Certaines associations et sociétés savantes demandent à ce que ces outils digitaux soient davantage régulés et que leurs critères d’évaluation soient standardisés. Leur remboursement au titre des dispositifs médicaux doit également être encouragé.
De façon globale, la période COVID – et notamment le confinement – a poussé artificiellement les équipes de soin à mettre en œuvre un télésuivi des patients, qui la plupart du temps a ensuite été abandonné quand les consultations physiques ont de nouveau été possibles. Or le juste milieu entre médecine « classique » et télémédecine est probablement un facteur à prendre en considération pour palier à la démographie médicale problématique ou aux distances entre lieux de vie et lieux de soin, à travers une approche hybride.
Y a-t-il encore des obstacles à leur utilisation ?
Oui, il en existe toujours. Du côté des professionnels de santé, une enquête internationale a montré que les principaux freins à l’usage de la e-santé sont liés à des difficultés techniques ou encore à des interrogations quant à la sécurisation des données. Par ailleurs, les praticiens ne sont pas toujours convaincus de l’impact de ces outils dans leur pratique clinique quotidienne.
Du côté des patients, on a mis en évidence que l’origine ethnique ou le niveau de revenu peuvent être des obstacles à l’utilisation de ces technologies. Il faudra donc faire en sorte que les problèmes techniques n’aggravent pas les inégalités d’accès.
Propos recueillis par Emilie Groyer