“Personne ne s’intéresse aux femmes touchées par un cancer de l’endomètre parce qu’elles sont âgées et fragiles.” Les propos du Pr Isabelle Ray-Coquard, oncologue au Centre Léon Bérard à Lyon, peuvent paraître provocateurs. Ils reflètent pourtant une réalité. “Nous n’avons pas eu d’avancées dans ce domaine depuis 30 ans” justifie la spécialiste des cancers gynécologiques.
Le cancer de l’endomètre, qui touche la muqueuse qui tapisse le corps de l’utérus, est pourtant le plus fréquent des cancers gynécologiques et se place au 4ème rang des cancers féminins. Il touche principalement des femmes ménopausées, âgées en moyenne de 68 ans et souffrant de comorbidités : diabète, obésité, hypertension… S’il est de bon pronostic à un stade localisé, lorsqu’il récidive, les oncologues se retrouvent dans l’impasse. “À part la chimiothérapie ou l’hormonothérapie, nous avons très peu d’options, reconnaît le Pr Ray-Coquard. On avait à tout prix besoin de changer l’histoire.”
Un risque de décès ou de rechute diminué de 44%
Et elle est sur le point de changer. Grâce à l’étude Keynote-146/Study 111. Menée sur 827 patientes atteintes d’un cancer de l’endomètre en rechute, cet essai clinique de phase III a comparé la chimiothérapie à un traitement innovant combinant le pembrolizumab (ou Keytruda), une immunothérapie ciblant le marqueur PD-1, et le lenvatinib (ou Lenvima), un inhibiteur de tyrosine kinase1.
Et les résultats sont pour le moins impressionnants : un risque de décès ou de rechute diminué de 44%, une médiane de survie globale2 à 18,3 mois (contre 11,4 mois avec la chimiothérapie), une médiane de survie sans rechute à 7,2 mois (contre 3,8 mois avec la chimiothérapie) et un taux de réponse3 de 31,9% (contre 14,7% avec la chimiothérapie).
“On avait à tout prix besoin de changer l’histoire”
Des effets indésirables importants
“Ces résultats nous ont surpris, explique le Pr Ray-Coquard. Ils sont considérables sur tous les paramètres : taux de réponse, survie globale, survie sans rechute. Le seul bémol concerne la toxicité.” Les effets indésirables liés au lenvatinib ont obligé un tiers des patients à arrêter le traitement. “C’est énorme” admet le Pr Ray-Coquard.
Mais il existe des marges de manœuvre selon l’oncologue : “On va apprendre à utiliser ces médicaments et à limiter ces effets. On peut par exemple réfléchir à des adaptations de doses. Au sein du groupe national GINECO5, on aimerait qu’une étude – dite d’escalade de dose – soit conduite pour voir s’il est possible d’obtenir la même efficacité mais avec une meilleure tolérance. Cela consiste à commencer par traiter les patients à plus faible dose et en l’augmenter progressivement tant qu’elle bien tolérée.”
En attente d’une ATU
“Actuellement en France, nous n’avons pas beaucoup d’alternatives à la chimiothérapie en cas de rechute du cancer de l’endomètre. Nous avons accès dans le cadre d’une ATU4 à un traitement innovant : le dostarlimab, mais il est indiqué pour des femmes présentant des instabilités microsatellitaires.” Comprendre : des zones du génome qui accumulent des mutations.
Seules 20% des patientes présentent ces altérations génomiques. La nouvelle combinaison pembrolizumab/lenvatinib permettrait donc de proposer une solution aux 80% restants. Soit environ 1 500 femmes chaque année. “À présent, il nous faut à tout prix une ATU pour que ces femmes aient accès à ce traitement le plus tôt possible, plaide le Pr Ray-Coquard. Les patientes et les associations de patients comptent sur nous !”
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Les tyrosine kinases sont des enzymes impliquées dans la transmission du signal qui conduit à la croissance de la tumeur
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Délai dans lequel la moitié des individus d’un échantillon sont décédés, l’autre moitié étant encore vivante. Ainsi une survie médiane à 18,3 mois signifie que la moitié des patients traités sont encore en vie à 18,3 mois.
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Proportion de malades qui répondent au traitement c’est-à-dire dont la tumeur est réduite par le traitement.
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Une ATU – ou autorisation temporaire d’utilisation – permet l’utilisation exceptionnelle de spécialités pharmaceutiques ne bénéficiant pas encore d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) et ne faisant pas l’objet d’un essai clinique.
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Groupe d’Investigateurs National des Etudes des Cancers Ovariens et du sein