Elles sont venues avec leurs propres tenues, celles dans lesquelles elles se sentent bien.
Elles y ont ajouté des accessoires achetés tout spécialement pour le Crazy : boa en plumes, gants de satin extralongs, faux cils et… lingerie fine. Enfiler bas et porte-jarretelles, peaufiner son maquillage : autant de gestes de réconciliation avec une féminité blessée, voire pénalisée par la maladie. Et belle occasion, aussi, de redécouvrir une insouciance et une légèreté souvent enfuies. Entre elles, ni compétition ni comparaison. à la fois différentes et égales, elles n’ont qu’une envie : vivre à fond ce moment entre filles.
« Quand on est malade, on n’est pas moins belle ou sexy qu’une autre »
Sous la houlette de Mathilde, alias Lady Painkiller, les filles répètent les bases de tout bon numéro. Les différentes pièces de vêtement s’ôtent dans un ordre précis, avec des astuces simples et rigolotes. « Peu importe qu’on soit un peu gauche, au contraire ! Ce qui rend sexy, c’est ce qu’on dégage ! », conclut Lady Painkiller avant de laisser chacune s’exprimer sur un air de mambo.
Le saint du sein
Nous sommes le 8 mars, c’est la Journée de la femme. Il n’y a pas de hasard. Ni sur la date choisie pour la leçon d’effeuillage burlesque initiée par Rose à l’attention de ses lectrices, ni sur le lieu : le Crazy Horse, à Paris. Quand on ne s’est jamais fantasmée en néo-Dita Von Teese, venir dans le temple du nu chic et superlativement féminin pour apprendre à s’effeuiller, « c’est une idée encore plus dingue, s’amuse Anne-Sophie (40 ans). Dire qu’il y a un an et un jour on m’annonçait une tumeur au sein, avec tout ce qui allait suivre – la mastectomie, la chimio, etc. Et aujourd’hui je suis là… Je trouve le pied de nez assez génial ! ».
À la suite de cette brunette au look sage de consultante en ressources humaines, trois autres volontaires pénètrent dans le saint des seins effrontés et des fessiers callipyges : Souria (50 ans), comédienne, Guillemette (38 ans), responsable de la communication chez Eurostar, et Estelle (37 ans), conseillère principale d’éducation. Elles ne se connaissent pas mais ont deux points communs. Elles ont vécu ou vivent avec le cancer, et aucune d’entre elles n’a jamais fait « ça ». « Ce n’est pas une chose que j’aurais spontanément tentée, même seule chez moi devant ma glace, sourit Estelle, qui se bat depuis 2005 avec un Gist (un cancer très rare du système gastro-intestinal). Mais, en y réfléchissant, j’ai trouvé l’idée à la fois marrante et assez culottée pour me donner envie de relever le défi. »
Cache-tétons argentés
Les voilà en coulisses, installées par paires dans 2 microloges. Derrière les rideaux pailletés, on se change en faisant le point sur les « réjouissances » médicales de chacune, passées ou à venir. Le « vous » tombe entre elles en même temps que les pulls et les manteaux. Souria, en rigolant : « Anne-Sophie, tu m’aides ? Je ne m’en sors pas, avec mon porte-jarretelles. Au secours ! »
Pendant ce temps, dans la loge d’à côté, Guillemette s’esclaffe en découvrant qu’Estelle a fait l’emplette de cache-tétons argentés. Elles se regardent, hésitent, et puis décident de les porter sous leur soutien-gorge pigeonnant, en pouffant comme des collégiennes. Toutes froufroutantes et maquillées, elles ne sont plus tout à fait les mêmes qu’en arrivant. Leurs attitudes, leur façon de bouger sont différentes. Les talons hauts, la lingerie fine sous leurs jupes étroites ? Peut-être…
Miss Tagada et Anne So-vage
Déjà, certaines se piquent au jeu et s’inventent un surnom, comme les pin-up rigolotes du film Tournées, de Mathieu Amalric. Estelle, dans sa minirobe rouge à pois blancs, se verrait bien en Petra Lala ou Miss Tagada. Anne-Sophie, moulée dans un chemisier couleur python, s’envisage plutôt en Lady Jungle. « Et pourquoi pas Anne So-vage ? » propose Guillemette. Vendu !
Avec un clin d’œil dans le miroir, Souria commente : « Une femme peut en cacher une autre. » Elle-même en est la preuve vivante. Pendant dix ans, elle a tu et dissimulé son cancer du sein et ses complications à son entourage professionnel, pour ne pas être black-listée et continuer de décrocher des rôles. Aujourd’hui, avec une poitrine reconstruite dont elle est fière, elle se sent assez forte pour faire son coming out.
Jusqu’où oseront-elles aller ? C’est le moment de vérité. Sur la mythique scène du Crazy les attend Mathilde. Elle est l’une des rares pros de l’effeuillage burlesque en France et exerce son art depuis 6 ans sous le nom de Lady Painkiller. Littéralement, Lady « Tue-douleur ». Pouvait-on rêver mieux ?
Minauder, menton levé
D’emblée, elle met les filles dans sa poche en leur lançant ingénument, la bouche en cœur : « Vous pouvez m’appeler maître, bien sûr… » Sans transition, sur un mambo, elle passe au b.a.ba. « Il n’y a pas de chorégraphie, on improvise, mais il y a un ordre à suivre pour retirer ses vêtements. Bougez toujours un petit peu les épaules, les hanches. N’hésitez pas à minauder et gardez le menton levé ! »
Elle invite ensuite les filles à la suivre, en donnant à chaque fois les astuces pour s’effeuiller avec grâce et humour. Après le manteau, les gants : « À l’intérieur, ouvrez votre main en éventail pour que ça soit plus difficile à ôter. Tirez sur chaque doigt un par un, avec les dents, par exemple… » Après les jupes, ce sont les chemisiers, puis les bas qui virevoltent.
À la Marylin : oups…
Arrive alors le clou de tout numéro burlesque : l’escamotage du soutien-gorge. Mathilde montre comment faire glisser les bretelles : « Faites-le mine de rien. À la Marylin : oups… » Et puis, dos à la salle, elle fait sauter le fermoir. « On récupère son soutien-gorge, on le fait tourner au-dessus de sa tête d’une main. De l’autre, on se cache la poitrine, et hop, on écarte les mains ! Pour finir, on prend la pause avec un petit coup d’œil complice au public. » Anne-Sophie la regarde, l’air un peu paniqué. « Je ne peux pas faire ça… » Dans le bonnet gauche de son soutien-gorge se cache une prothèse-contact qui masque la perte de son sein. Mathilde, flegmatique et réactive, va chercher son sac et en retire un soutien-gorge rose bonbon. « Tiens, passe-le par-dessus le tien. Comme ça, tu pourras faire comme les autres ! »
C’est au tour des filles d’évoluer seules maintenant. Encouragées, mises en confiance par leur coach, elles se lâchent. Recommencent 2, 3 fois sur des standards fifties sucrés-acidulés. L’atmosphère est légère, pétillante. Totalement décomplexée. À la fin de cette séance d’à peine deux heures, leurs premières pensées vont aux lectrices. En se prêtant à cette expérience, elles ont voulu leur transmettre un message. « Le corps est tellement mis à mal avec les traitements qu’on perd le contact avec sa féminité. Or pourquoi se cacher quand on a un cancer ? demande Estelle. Avoir des stigmates ne ferait-il plus de nous les égales des autres femmes ? Pour moi, quand on est malade, on n’est pas moins belle ou sexy qu’une autre. » Guillemette, en rémission d’un cancer du sein, ajoute : « La maladie nous fige dans une image négative de nous-mêmes. Pour s’en libérer, on ne doit rater aucune occasion de se faire du bien et, surtout, de s’aimer un peu plus… » à les voir toutes si radieuses, rieuses et libérées, on se dit que l’effeuillage burlesque devrait être remboursé par la Sécurité sociale.
Sandrine Mouchet