Alors que le cancer du poumon représente la première cause de mortalité par cancer, il n’existe pas aujourd’hui de programme de dépistage organisé en France, comme c’est le cas pour le cancer du sein, du col de l’utérus ou encore, colorectal. Pour y palier, l’Institut National du Cancer (INCa) a publié le 11 juillet un appel à candidature pour un programme pilote de dépistage organisé. Basé sur le scanner thoracique faible dose, il permettrait d’éviter un décès par cancer du poumon sur 5.
Ce programme pilote est la première étape avant un déploiement national d’ici 2030. À quels enjeux ce programme devra-t-il répondre ? Pourquoi est-ce si long ? On fait le point avec le Dr Pamela Abdayem, oncologue thoracique à Gustave Roussy et responsable du parcours de prévention et de dépistage de cancer du poumon dans le cadre d’Interception, un programme national de prévention personnalisée des cancers.
Pourquoi n’existait-il pas de dépistage organisé du cancer du poumon jusqu’à présent ?
Dr Abdayem : Nous avons un outil efficace pour dépister le cancer du poumon chez les personnes à risque élevé: il s’agit du scanner thoracique faible dose sans injection, un examen rapide et peu irradiant. De grandes études internationales réalisées ont montré son efficacité avec une réduction de la mortalité spécifique par cancer du poumon d’environ 20%. Mais cela ne suffit pas pour mettre en place un programme de dépistage organisé. Il y a d’autres problématiques à résoudre avant de pouvoir le lancer au niveau national.
Lesquelles ?
Par exemple, il faut définir la population cible à risque de cancer du poumon, comment l’identifier et comment faire en sorte qu’elle participe au dépistage.
Le tabac étant responsable de la survenue de 8 cancers du poumon sur 10, il faudra aussi prévoir des consultations de sevrage tabagique, avec prescription de substituts nicotiniques.
Si un cancer du poumon est dépisté, des programmes de diagnostic rapide devont être mis en place pour prendre rapidement en charge les patients.
Sur le terrain, il faudra aussi déterminer comment le dépistage sera implémenté, les contraintes que cela va induire en termes d’organisation et d’infrastructure.
Le rythme des scanners (annuel ou tous les 2 ans par exemple), les modalités d’interprétation doivent également être éclaircies. Les radiologues devraient être formés au dépistage afin de réduire au maximum les faux positifs et les faux négatifs.
C’est quoi ces faux positifs ou négatifs ?
Un faux positif c’est quand le scanner révèle des images suspectes et que des examens complémentaires montrent finalement qu’il ne s’agit pas d’une tumeur. Un faux négatif, c’est, au contraire, quand on “passe à côté” d’un cancer.
Il y a aussi les risques de surdiagnostic, c’est-à-dire qu’on traite un cancer qui n’aurait en fait pas évolué et n’aurait pas entraîné la mort du patient si on ne l’avait pas diagnostiqué.
Tous ces cas de figures engendrent une angoisse inutile pour les personnes concernées. Les examens complémentaires demandés sont un surcoût pour la société qui, par ailleurs, entrainent parfois des complications. Il faut donc les limiter autant que possible.
A-t-on déjà une idée de la population qui sera ciblée par ce dépistage organisé ?
Il s’adressera aux fumeurs et anciens fumeurs âgés de 50 à 74 ans.
Pour déterminer s’ils sont à risque, on se base actuellement sur leur âge, la durée de leur tabagisme et la quantité de cigarettes consommées.
Mais on évalue actuellement des algorithmes de prédiction de risque de cancer du poumon qui seraient plus sensibles et plus spécifiques que les critères classiques. Dans le futur, on pourrait s’aider aussi de biomarqueurs sanguins ou salivaires.
Quelles sont les prochaines étapes avant la mise en place du dépistage organisé ?
Dans un premier temps, un programme pilote sera mis en place pour répondre aux différents points que je viens d’évoquer. Pour le moment, nous en sommes à l’appel à candidature. Les établissements qui veulent participer à ce programme pilote ont jusqu’à fin octobre pour y répondre. Les candidatures vont ensuite être évaluées et les résultats seront publiés à la fin de l’année. Le programme démarrera début 2025 et durera 5 ans au minimum.
C’est long ! Entre-temps, les personnes à risque pourront-elles bénéficier de ce dépistage ?
Les personnes à risque pourront intégrer le programme pilote dans un établissement qui y participe. Il devrait y en avoir partout en France.
Il existe aussi d’autres études et programmes de prévention et de dépistage du cancer du poumon en France qui sont actuellement en cours et qui feront probablement partie du grand programme pilote une fois déployé comme Interception à Gustave Roussy.
LE PROGRAMME INTERCEPTION
Interception-poumon, débuté initialement à Gustave Roussy et actuellement en phase de déploiement national, propose par exemple aux personnes éligibles (grands fumeurs actifs ou sevrés âgés de 50 ans et plus ) de participer à une demi-journée de prévention et de dépistage du cancer du poumon incluant un scanner thoracique faible dose, une consultation de sevrage tabagique et des ateliers d’information et de sensibilisation sur le tabac, le cancer du poumon, la nutrition et l’activité physique.
Les personnes repartent avec le résultat du scanner et un plan de prévention personnalisé également envoyé à leur médecin traitant. En cas de détection d’anomalies, une prise en charge rapide est réalisée dans le cadre du programme de diagnostic rapide INSTADIAG du Centre International des Cancers Thoraciques (CICT).
N’hésitez pas à en parler à votre médecin pour savoir si vous êtes éligibles à ce programme.
Propos recueillis par Emilie Groyer