Bordeaux, 17 novembre, 21 heures
Il est 21H et une alarme sonne. Céline Lis-Raoux interrompt sa conversation de fin de diner et grimpe dans son bureau. Pour la quatrième fois de la soirée, elle appelle un numéro de téléphone à San Diego, côte ouest des États-Unis. Décalage horaire 9 heures. « Je me suis mis une alarme pour penser à téléphoner toutes les demi-heures. Il va bien finir par répondre ! », plaisante la directrice de l’association RoseUp.
« Il », c’est le docteur K, chirurgien plasticien de renom, qui partage son temps entre un hôpital parisien et une université californienne. C’est lui, aussi, qui devait opérer Sylvie Pradier touchée par un cancer de la pyramide nasale. Annulé une première fois en avril, cette chirurgie considérée comme « reconstruction » a, de nouveau, été déprogrammée. Plus de place au bloc. Sylvie a signalé cette situation sur la plateforme de déclaration des annulations mise en place par RoseUp.
Amputée du nez
De la reconstruction esthétique l’opération de Sylvie ? La parisienne manque de s’étouffer, lorsqu’elle entend ce mot. Cette femme dynamique, membre active de l’association Corasso, en est à sa quatorzième opération depuis qu’on lui a diagnostiqué un cancer de la peau en octobre 2014. En décembre 2014, le Dr Benjamin Sarfati, alors chirurgien à Gustave Roussy l’opère une première fois. Hélas, le carcinome récidive, et Sylvie subit une amputation de la pyramide nasale, puis des chaines ganglionnaires – droite et gauche. En juin 2017, le Dr K commence la première intervention de reconstruction. Le début d’un long processus, pour redonner un visage à cette « gueule cassée ». Mais, pour Sylvie, l’enjeu n’est pas uniquement plastique. « Ma narine dont la reconstruction n’est pas finie, se rétrécit. Le cartilage repousse. J’ai de plus en plus de mal à respirer. »
Finalement, le quatrième appel fut le bon. Le Dr K finit par répondre. Un peu étonné de l’appel, il se montre très aimable. Conscient de la situation de Sylvie, il craint de ne pouvoir l’opérer avant mars 2021 – date de sa prochaine venue en France. En espérant qu’il y aura un bloc… Tout le programme de chirurgie est bouleversé durablement et dans toute la France.
Chirurgie du sein annulée et imbroglio administratif
Paris, 18 novembre, 9H
Aurélie Benoit-Grange, directrice la Maison Rose de Paris (RoseUp a ouvert deux maisons d’accueil, l’une à Bordeaux, l’une à Paris), reçoit des scans de documents CPAM et MGEN envoyés depuis l’Isère par Maud. Cette jeune femme, qui devait subir une double mastectomie prophylactique (elle est porteuse d’une altération du gène BRCA) avait vu sa chirurgie annulée au début du second confinement (tout comme Caroline qui avait témoigné sur notre site). Elle s’était alors signalée sur la plateforme mise en place par l’association RoseUp et avait trouvé une solution au centre Unicancer de Clermont-Ferrand. Hélas, Maud, une semaine avant la date programmée, se retrouve face à un imbroglio administratif entre la MGEN et la CPAM des différents départements pour la prise en charge de son voyage… Aurélie se met à la manœuvre pour débloquer la situation.
Bordeaux, 18 novembre, 16H
Céline Lis-Raoux et Sylvie Pradier se parlent. La première a téléphoné au grand hôpital parisien pour expliquer à la direction les difficultés de respiration que rencontre Sylvie, les risques à moyen terme que cela fait planer sur sa santé – et plaider pour qu’on lui trouve un bloc dans le mois. Mission accomplie ! La seconde chemine vers l’idée de confier son opération à un autre chirurgien pour ne pas attendre une demi-année de plus.
« Chaque cas résolu, chaque femme aidée est une petite victoire !«
Paris, 18 novembre, 18H
Carine Toutant, bénévole de RoseUP, raccroche d’un marathon téléphonique de deux heures. Elle vient d’appeler tous les centres de radiologie de Valenciennes pour trouver un créneau pour la mammographie de Line, qui avait vu sa radio de suivi annuel annulée dans son centre de cancérologie. « L’assistante m’a dit de « me débrouiller » pour trouver un centre de radiologie en ville et de venir avec ma mammo, fin novembre, pour voir mon cancérologue. Sauf que le 1er rendez-vous que j’ai trouvé c’est en février…», témoignait Line sur notre plateforme de déclaration. Carine a passé une dizaine d’appel, expliquant, argumentant, cajolant, pour finir par trouver un cabinet du valenciennois qui accepte de programmer la mammographie de Line dans un délai raisonnable. Carine Toutant a le sourire : « Chaque « oui » arraché est une petite victoire ! »
Renoncements aux soins
19H30 : Aurélie Benoit-Grange envoie un dernier mail. Elle vient de saisir la MAS (Mission d’Accompagnement Santé) qui gère les situations de renoncement aux soins pour la CPAM. « Je lâche pas ; Maud a fait le plus dur, trouver un bloc, on va pas abandonner pour un bout de papier administratif quand même… ».
20H : Point du soir téléphonique entre les 3 femmes sur l’avancée des différents dossiers et la prise en charge des nouvelles déclarations sur la plateforme. « Il n’y a pas de petit sujet. On prend au sérieux chaque annulation de chirurgie bien sur, mais aussi de radiologie. Une femme qui sort du système hospitalier parce qu’on annule sa mammographie et qui ne trouvera pas de solutions, ou des solutions avec des dépassements d’honoraires, renoncera à se faire suivre« , rappelle Céline Lis-Raoux, la directrice de RoseUp. Pour le moment, les problèmes se concentrent en Rhône-Alpes, notamment Lyon et Chambéry. « On n’a toujours pas de solution pour Jean-Pierre, déprogrammé de sa chirurgie de l’estomac, il ne peut pas se déplacer…« , soupire Aurélie Benoit-Grange. Avant de se ressaisir. « Bon, on va pas se décourager. Demain, plus que jamais, la règle 1, c’est : « On lâche jamais! »».
Julie Dépi