« Dans un couple, on est théoriquement deux. Avec le cancer, on devient trois. Et, comme disait Lady Di, « trois dans un couple, ça fait une personne de trop » ! »
Pour Annick, qui se bat contre un cancer du côlon, l’intrus se présente sous la forme d’une poche qu’elle doit conserver contre elle, jour et nuit.
« Lorsque j’ai compris ce qu’induisait ma maladie en termes d’appareillage, nous avons eu une longue discussion, avec mon mari. Je lui ai dit que sa présence, sa tendresse m’étaient indispensables– mais que j’accepterais parfaitement qu’il aille voir sexuellement ailleurs! Nous sommes mariés depuis trente-six ans. Ce qui nous lie, ce sont ces longues années d’amour, quatre enfants, neuf petits-enfants. Le reste est accessoire. »
Le conjoint parfois victime collaterale « taiseuse »
L’histoire ne dit pas si Jean-Daniel est vraiment allé « voir ailleurs ». En revanche, il couve toujours sa femme du même regard amoureux… Ils sont nombreux, ces couples obligés de conclure de « petits arrangements » avec le cancer, contraints de changer leurs existences, leur manière de vivre leur sexualité – au moins pour quelques mois.
Parce que le rêve romantique d’un amour total achoppe sur la maladie, la douleur, les stigmates. Mais ce que l’union perd en fougue, parfois elle le gagne en tendresse.
Survivre à ce trio « femme-cancer-homme » suppose un certain talent de communication, ainsi qu’une bonne écoute mutuelle. De la part de l’homme, bien sûr, qui doit entendre et respecter la douleur de sa compagne, mais de la part de la femme également, qui doit envisager l’angoisse de son partenaire.
Car l’homme est souvent la victime « taiseuse » et collatérale du cancer: « Pendant les traitements, tout est concentré sur la personne malade, analyse Françoise Desarnauts, psycho-oncologue.Le compagnon a très peu de moyens de s’occuper de sa propre souffrance, il ne se l’autorise d’ailleurs généralement pas. »
Sentiment diffus de malaise et peur de la pénétration
Sentiment d’impuissance, de désarroi et même de culpabilité face à la douleur de sa femme… Très vite, un fossé peut se creuser entre les deux corps, plus par manque de dialogue que par rejet.
Quand l’homme pense, le soir: « Tu es fatiguée, je te laisse te reposer », la femme « psychote »: « Je le dégoûte, il ne me désire plus, bientôt il ne m’aimera plus. »
La priorité, pour les malades, est donc de garder le « fil ». Tenir un lien avec le conjoint – qui s’avère souvent beaucoup moins exigeant que la femme ne l’est avec elle-même.
Michel témoigne de ce décalage: « Ma femme a subi à 37 ans une ablation du sein qu’elle a vécu comme la fin de sa féminité. Moi, en revanche, pas du tout. Autrefois, nous dormions nus. Aujourd’hui, elle porte un tee-shirt. Pendant l’amour, elle met instinctivement un bras devant sa poitrine, pour masquer sa cicatrice, comme une protection… »
À ce sentiment de malaise diffus s’ajoute, pour bien des femmes opérées d’un cancer gynécologique, une peur physique de la pénétration.
Nouvelles règles érotiques
Le lien à maintenir est celui de l’entente érotique et « il est important de garder le contact pendant la maladie: se tenir la main, se serrer dans les bras, se masser, se caresser… parfois sans acte sexuel, ce qui n’est pas toujours naturel pour l’homme », précise Daniel Habold, onco-sexologue.
Il n’y a pas de recette magique pour sauvegarder ou retrouver l’entente sexuelle, sinon de saupoudrer chaque situation de beaucoup de tendresse et d’un peu d’humour.
Ainsi Sandrine, malade trentenaire qui n’a pas hésité à instaurer un jeu sensuel pour renouer en douceur avec les caresses: « Après des mois d’absence de désir et d’inactivité sexuelle, j’avais un peu peur. J’ai demandé à mon mari d’effleurer tout mon corps avec une plume afin de retrouver des sensations agréables… Et ça a marché ! ».
Nathalie Vallez