Gustave Roussy a ouvert une aile Covid pour accueillir des malades de cancer infectés par le virus. Vous avez présenté votre retour d’expérience lors du congrès de l’American Association for Cancer Research (AACR) qui s’est tenu de manière virtuelle fin avril. Quel est-il ?
Pr Barlési : Nous avons présenté nos résultats sur les plus de 7000 patients que nous avions traités entre le 14 mars et le 15 avril. Parmi ces malades, plus de 3 600 ont dû être hospitalisés. Nous en avons testé plus de 1300 suspectés d’être porteurs du SARS-CoV-2 et 137 se sont révélés positifs. Nous avons suivi l’évolution de leur état. Nous avons analysé plus particulièrement leur détérioration clinique caractérisée par le besoin d’un apport en oxygène ou le décès.
La grande majorité des patients (70%) ont déjà pu rentrer chez eux. Trente-quatre ont eu une détérioration clinique et 15 ont été admis en réanimation.
Vos données suggèrent que les malades de cancer ne sont pas plus infectés par le virus que le reste de la population. Cela signifie-t-il qu’ils ne sont pas plus à risque de contracter le virus, malgré les traitements ?
En effet, le pourcentage de nos patients infectés par le coronavirus est proche des chiffres de la population générale. Le risque d’être infecté n’est probablement pas majoré par les traitements à partir du moment où toutes les mesures de protections individuelles sont prises. On le pensait au départ mais aujourd’hui nous n’avons pas d’éléments formels qui permettent de l’affirmer.
Avez-vous mis en évidence des facteurs responsables de la détérioration de l’état des malades de cancer infectés ?
Oui. Nos données sont encore précoces et demandent à être complétées mais nous avons pu déterminer que le principal facteur de détérioration était l’état général du patient au moment de son hospitalisation. Si le malade était fatigué au point de devoir être alité plus de la moitié de la journée, le risque de détérioration clinique est majoré.
En revanche, dans notre étude, le sexe, l’âge et le fait d’être fumeur ne semblaient pas avoir d’impact. Nous n’avons pas non plus observé que le surpoids était un facteur de risque mais nous avions peu de patients dans cette situation.
Le type de cancer est-il aussi un facteur de risque ?
Dans une moindre mesure que l’état général, nous avons aussi observé que les patients présentant un cancer hématologique – leucémie, malade de Hodgkin… – présentaient un risque accru de détérioration.
Existe-t-il un lien entre le traitement suivi et le risque de détérioration clinique ?
Oui. Le fait d’avoir reçu une chimiothérapie dans les 3 mois précédent l’infection augmente le risque de détérioration.
De façon rassurante, nous n’avons pas observé d’impact des thérapies ciblées ou de l’immunothérapie. Nous n’avons pas de résultats pour la radiothérapie et la chirurgie car ces traitements ont été adaptés ou repoussés pendant la période de confinement. Nous avons donc trop peu de données pour tirer des conclusions.
« Le fait d’avoir un cancer ne doit pas être un critère d’exclusion pour la réanimation »
Les patients envoyés en réanimation ont-ils pu rentrer chez eux ?
Au moment de l’analyse des données, 22% des patients passés en réanimation étaient déjà rentrés chez eux. Cela montre qu’il faut aussi se battre pour ces patients et que le fait d’avoir ou d’avoir eu une maladie cancéreuse ne doit pas, en soi, présenter un critère d’exclusion pour la réanimation.
Avez-vous eu à déplorer des décès ?
Parmi les 137 malades de cancer infectés par le Covid qui ont dû être hospitalisés, nous avons malheureusement eu à déplorer 20 décès. Cela représente donc à un taux de létalité de 14,6%. Ce chiffre est proche de celui de la population générale, voire légèrement inférieur, puisque le taux de décès par Covid-19 en France est de 18%. Même si nos données sont préliminaires, il ne semble pas y avoir de risque plus important de décès pour les malades de cancer à partir du moment où ils sont correctement pris en charge dans des centres où il y a un service de réanimation.
Votre retour d’expérience va-t-il conduire à un changement dans la prise en charge des malades de cancer pendant l’épidémie ?
Je pense qu’aujourd’hui il n’y a aucune appréhension à avoir sur les thérapies ciblées et l’immunothérapie. Tous les patients doivent avoir leur traitements de façon strictement normale.
Vis-à-vis de la chimiothérapie, il y a un risque potentiel mais, à partir du moment où toutes les mesures sont appliquées pour protéger les malades de cancer du Covid et pour dépister une infection par le coronavirus, il n’y a aucune raison de ne pas mettre en œuvre le programme de soin de ces malades.
« Il n’y a aucune raison qu’on freine leur accès au soin par principe de précaution »
Les malades de cancer peuvent donc espérer un retour à la normale de leurs traitements ?
Il est important que les malades comprennent que nous avons mis en place un certain nombre de précautions légitimes au départ car nous ne connaissions pas bien le Covid-19. Aujourd’hui, le risque semble contrôlable par les mesures barrières mises en œuvre et plus rien ne justifie qu’on ne s’occupe pas de leur pathologie cancéreuse et qu’on ne la prenne pas en charge de manière adéquate. Malgré le fait que le Covid persiste dans le pays, il n’y a aucune raison qu’on freine leur accès au soin par principe de précaution.
La prise en charge des personnes atteintes de cancer va certainement revenir à la normale dans un avenir proche parce que le risque d’évolution de la maladie cancéreuse est probablement supérieure, selon l’expérience qui est la nôtre, au risque de Covid.
LE RETOUR D’EXPÉRIENCE DE L’INSTITUT CURIE DANS LE CANCER DU SEIN
L’Institut Curie a mené la première étude mondiale sur les femmes atteintes d’un cancer du sein infectées par le coronavirus.
Ses résultats montrent que ces malades ne sont pas davantage infectées par le virus que le reste de la population. Le risque de complication ou de décès par Covid ne semble pas lié au cancer ou aux traitements suivis mais plutôt à certaines comorbidités (grand âge, diabète…).
« Au total, le COVID-19 ne semble pas plus fréquent que dans la population générale, et sans surmortalité majeure apparente chez les femmes traitées pour un cancer du sein, ce qui est une bonne nouvelle » peut-on lire dans le communiqué.
Propos recueillis par Emilie Groyer