Les chirurgies, chimiothérapies et radiothérapies ne sont pas les seuls actes médicaux à avoir été reportés en raison du confinement. L’imagerie – mammographie, scanner, PET-Scan, IRM – a également été impacté. Selon un sondage réalisé par l’association Patients en Réseau (auprès de plus de mille personnes), 42% des patients devant réaliser un suivi radiologique (scanner, IRM) dans un centre de soins ont vu leur examen annulé ou reporté. Une source supplémentaire d’angoisse pour les malades de cancer en attente de ces résultats. Véronique, dont les radiographies de contrôle ont été annulées, se sent « abandonnée ». Quant à Jeanne1, traitée pour un sarcome dont la surveillance a été stoppée, elle a tout simplement le sentiment que sa tumeur a « le champ libre » et n’arrive pas à comprendre les raisons d’une telle décision.
Report du suivi des cancers en rémission
« Cela dépend des centres. Il n’y a pas de consignes nationales. Les centres s’adaptent en fonction de leurs moyens et de leur situation géographique. À Nice, nous avons été relativement épargnés par l’épidémie » convient le Dr Baudin, chef du département d’imagerie au Centre de lutte contre le cancer Antoine Lacassagne. Un contexte favorable qui n’a toutefois pas exempté le médecin de réorganiser son service. « Il fallait protéger nos patients et le personnel soignant en limitant les risques d’exposition au coronavirus. Nous avons donc regardé chaque semaine les examens programmés et nous avons décidé au cas par cas si nous les maintenions ou non. » Les examens non urgents – de surveillance à 6 mois ou 1 an pour des patients stables ou en rémission, comme les mammographies de contrôle annuelles après un cancer du sein – ont ainsi été reportés.
Maintien du dépistage symptomatique et suspension du dépistage organisé
Le dépistage des nouveaux cas de cancer doit en revanche être maintenu, coûte que coûte, pour éviter les retards de diagnostic. Même dans les régions en tension comme l’Île de France. À Gustave Roussy, pourtant en première ligne face à l’épidémie de Covid, « l’accueil diagnostic en un jour » du cancer du sein est toujours assuré, une fois par semaine. « Nous recevons des femmes qui présentent des anomalies suspectes : masses palpables, écoulements sanglants ou inflammation du sein. Nous réalisons tous les examens dans la journée » explique le Dr Balleyguier, cheffe de service imagerie à Gustave Roussy.
« Je comprends que c’est stressant pour une femme de voir sa mammographie de contrôle décalée. »
Un dispositif qui devrait permettre de détecter les cas les plus sévères mais qui risque de laisser passer les lésions plus silencieuses. Le dépistage organisé, qui permet en général de mettre à jour ce type d’anomalies, ne pourra assurer la relève : il a été mis en stand-by depuis le début du confinement. Le Dr Balleyguier se veut toutefois rassurante : « C’est sûr qu’on ne verra pas les carcinomes intracanalaires2, par exemple. Mais ce sont des lésions qui évoluent très lentement. Même s’il y a un retard de diagnostic de 3 mois, cela n’entrainera pas de perte de chance. »
Et si le diagnostic du cancer est confirmé ? « Nous les prenons en charge comme avant » assure le Dr Balleyguier. Avec quelques adaptations toutefois. « Habituellement, une lésion mammaire classée ACR3 demande une surveillance rapprochée entre 3 et 6 mois. Dans le contexte actuel, on attendra 9 mois. Je comprends que c’est stressant pour une femme, qui attend sa mammographie de contrôle, de voir son examen décalé. Mais un ACR3 est bénin dans 98% des cas. »
Pour les patients déjà sous traitement ou dont le cancer est suspecté de récidiver, là encore, tous les examens nécessaires pour évaluer leur grade et leur extension seront maintenus.
Une baisse d’activité pour « assurer la sécurité des patients«
Du fait de cette réorganisation, les services d’imagerie ont vu leur activité chuter. « Le nombre de PET-Scan a été divisé par 3″ confirme le Dr Balleyguier. Un allègement nécessaire pour assurer la sécurité des patients dont les examens sont maintenus. Parce qu’ils sont moins nombreux, ils peuvent à présent être conduits directement dans la salle d’examen, sans patienter dans la salle d’attente et prendre le risque d’entrer en contact avec d’autres personnes.
Une attention particulière est portée au scanner. Dans certains centres qui accueillent des malades de cancer ayant contracté le Covid, l’appareil est en effet utilisé aussi bien pour la surveillance des tumeurs que pour confirmer une infection par le coronavirus. C’est le cas à Gustave Roussy. Le centre – qui ne dispose actuellement que d’un seul scanner en raison de travaux engagés avant le confinement – a donc dû mettre en place des circuits de circulation différents afin que les malades de cancer suspectés d’être infectés ne croisent pas les autres patients. « Nous programmons les patients symptomatiques en fin de matinée et en fin de journée. L’appareil est décontaminé pendant la pause déjeuner et dans la nuit » explique le Dr Balleyguier.
Aucune concession possible en revanche pour L’IRM : il est exclusivement réservé aux patients « non-Covid ». « L’IRM est difficile à décontaminer, confirme le Dr Balleyguier. Donc si un de nos malades est confirmé Covid et qu’il devait passer un IRM pour son cancer, on va soit reporter l’IRM, soit lui faire un autre examen. Pour un bilan d’extension du sein par exemple, on peut faire une angioradiographie. Pour le cerveau, on peut faire un scanner. Et on recontrôlera avec un IRM quand le patient ne sera plus contagieux. »
Rassurer les patients pour éviter des engorgements en sortie de confinement
Malgré toutes les précautions mises en place par les services d’imagerie, le doute persiste chez les malades de cancer à qui l’on martèle qu’ils font partie des personnes à risque. « Nous avons énormément de patients qui annulent leurs rendez-vous par crainte d’être infectés. Le tapage médiatique a fait peur aux gens : ils entendent toute la journée des chiffres inquiétants, voient des gens avec des masques… Ce n’est pas étonnant ! Mais il faut les rassurer : si leurs examens sont maintenus, c’est qu’on a mesuré la balance bénéfice/risque. Chez une patiente qui doit passer une mammographie tous les 2 ans et qui n’a pas d’antécédent, la balance penche bien évidemment en faveur d’un maintien à domicile. En revanche, chez un patient qui est en récidive d’un cancer du côlon avec des métastases, la balance est en faveur d’un maintien du traitement » alerte le Dr Baudin.
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Le chef de département est d’autant plus inquiet de ces annulations qu’il se projette au 11 mai, date de début du déconfinement : « Quand tout va reprendre, nous devrons à la fois gérer les malades qui ont annulé ou pour qui on a décalé les examens, et les nouveaux entrants dans la maladie. Nos plannings sont déjà fortement remplis jusqu’au mois de juin par des rendez-vous pris avant la période de confinement. Ça va être compliqué. » Le centre Lacassagne réfléchit dès à présent à l’après. Dès le 20 avril, son activité d’imagerie reprendra graduellement. « J’ai décidé, à partir d’aujourd’hui, d’arrêter d’annuler les rendez-vous de scanner et d’IRM » confirme le Dr Baudin.
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De bons élèves ?
Mais les centres Gustave Roussy et Lacassagne font figure de bons élèves. Toutes les structures ne sont pas en mesure de se réorganiser pour faire face à cette situation inédite. Jeanne, 38 ans, est suivie dans une clinique privée parisienne. Elle est atteinte d’un sarcome rare et agressif et a terminé ses traitements en janvier. Depuis, elle passe tous les mois un examen de surveillance. Celui de mars a été annulé. Sans qu’on lui propose une nouvelle date ou même une consultation avec son oncologue. Son examen de février avait pourtant révélé un nodule. Bénin, heureusement. Mais la jeune femme n’est pas rassurée pour autant.
« Il faut fournir une date de report d’examen. C’est un élément rassurant. »
« Les contraintes sont différentes selon les structures, convient le Dr Baudin. Notre direction a préconisé rapidement des mesures fermes de protection des patients et du personnel : interrogatoire systématique, prise de température, port du masque systématique patients-soignants. Cela nous a permis de maintenir un nombre conséquent d’examens radiologiques dans des conditions de sécurité satisfaisantes. À Nice, nous avons aussi profité d’une atteinte plus faible par le Covid. Dans le cas de Jeanne, il aurait été souhaitable, même si c’est difficile, de fournir une date de report d’examen. C’est un élément rassurant. Nous ne l’avons pas fait au départ. Et puis nous avons rapidement modifié notre stratégie : nous avons considéré que cela pouvait être anxiogène et qu’il y avait un risque important de perdre de vue de nos patients. »
De nombreux cabinets d’imagerie médicale de ville, qui auraient pu prendre la relève sur certains actes, ont également été contraints de baisser le rideau. « Certaines petites structures ont dû fermer en raison de la baisse d’activité, confirme le Dr Balleyguier. D’autres dédient la majorité de leur activité au Covid. Ils ont donc moins de rendez-vous à proposer aux autres malades. » Le médecin constate toutefois un début d’amélioration : « Certains cabinets se sont regroupés pour fonctionner malgré le manque de personnel.« Cinq semaines après le début du confinement, certaines régions s’organisent. En Occitanie, par exemple, les radiologues libéraux ont ainsi établi une liste des 60 cabinets d’imagerie libéraux ouverts pendant la pandémie. Les patients chroniques, parmi lesquels les malades de cancer, y sont accueillis en priorité.
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Emilie Groyer
1. Le prénom a été changé
2. Lésions non infiltrantes qui touchent le canal mammaire