Le ministre de la santé a récemment alerté sur l’usage des anti-inflammatoires pendant la pandémie de coronavirus. Pourquoi ?
Dr Antoine Lemaire : Les anti-inflammatoires, que l’on prend notamment dans le cadre de douleurs, peuvent aggraver toute infection, et notamment celle que provoque le coronavirus.
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Il existe plusieurs sortes d’anti-inflammatoires. Sont-ils tous concernés ?
On distingue 2 familles d’anti-inflammatoires : les anti-inflammatoires stéroïdiens et non-stéroïdiens.
Les anti-inflammatoires non-stéroïdiens – par exemple, l’ibuprofène, le kétoprophène, le diclofénac, le celecoxib – sont utilisés pour leur action antalgique [c’est-à-dire pour diminuer la sensation de douleur, NDLR]. Ils peuvent être utilisés, pour des courtes durées uniquement, dans un grand nombre de douleurs dites nociceptives (lire notre encart) en cancérologie comme des tendinites, des douleurs ostéo-articulaires ou musculaires liées à l’hormonothérapie, des douleurs osseuses liées à des métastases. L’aspirine fait partie également de cette catégorie mais il est rarement utilisé en cancérologie en raison d’un risque hémorragique supérieur.
Les anti-inflammatoires stéroïdiens [aussi appelés corticoïdes, NDLR] – par exemple, la cortisone – sont eux plutôt utilisés pour leur action anti-inflammatoire [c’est-à-dire pour calmer l’inflammation provoquée par la réaction du système immunitaire, NDLR]. Résorber un œdème, par exemple. Ils permettent aussi de limiter les nausées/vomissements liés à la chimiothérapie et stimuler l’appétit en situation palliative.
Ces 2 familles sont concernées par la mise en garde du ministère.
Qu’en est-il des douleurs neuropathiques ?
Les anti-inflammatoires sont utiles uniquement dans le cas de certaines douleurs nociceptives. Malheureusement, il n’est pas rare de les voir encore prescrits dans les douleurs neuropathiques, par manque d’analyse de cette douleur, alors que d’autres traitements dédiés sont recommandés. En cas de douleurs neuropathiques il faut donc privilégier les traitements adéquats : certains antidépresseurs, certains antiépileptiques, ou des traitements spécifiques sous formes de patches.
Dans quels cas les anti-inflammatoires sont-ils déconseillés et par quoi les remplacer ?
Compte-tenu des restrictions indispensables à leur utilisation dans le cadre de la pandémie COVID-19, il faut interrompre impérativement tous les anti-inflammatoires non-stéroïdiens. Je recommande d’utiliser en substitution un médicament antalgique pouvant agir sur les douleurs nociceptives.
Le paracétamol peut être utile, mais il est peu probable qu’il soit suffisamment efficace lorsque les douleurs sont modérées ou sévères.
En fonction de la sévérité de la douleur et de chaque patient, des opioïdes faibles (type tramadol, codéine, opium) ou forts (type fentanyl, morphine, oxycodone, hydromorphone) pourront donc être prescrits. Dans le contexte actuel d’épidémie virale, je recommande de ne pas utiliser les formes associant dans le même médicament un opioïde faible et du paracétamol, afin de ne pas masquer une éventuelle fièvre.
Les règles de bonne prescription des opioïdes doivent être respectées, pour n’utiliser que la dose minimale efficace et selon des modalités précises. Par contre il peut être difficile de s’en procurer en cette période actuelle, par manque d’accès aux médecins, et compte-tenu du fait qu’ils nécessitent – pour les opioïdes forts – une ordonnance sécurisée. De nombreux dispositifs sont opérationnels et facilités en cette période de crise, comme l’envoi d’ordonnances via télémédecine, un assouplissement des conditions de délivrance des traitements de fond par les officines de ville, ou des avis téléphoniques.
L’arrêt des anti-inflammatoires stéroïdiens, comme la cortisone, est en revanche plus délicat…
La cortisone est un co-antalgique [c’est-à-dire qu’il est prescrit conjointement avec un antalgique, NDLR] : son action anti-inflammatoire puissante lui permet de réduire les phénomènes d’inflammation à l’origine de la douleur, et donc de compléter l’action des médicaments antalgiques. En l’interrompant, ces mécanismes d’inflammation peuvent donc resurgir et les symptômes réapparaître.
Lorsque la cortisone est utilisée en courtes cures (de une semaine à un mois), son arrêt ne pose pas de problème particulier et peut être fait selon un schéma d’arrêt net ou de décroissance progressive rapide après avis médical. Utilisée au long cours, ce qui peut être le cas en cancérologie, il faut s’entourer de précautions lors de son arrêt, et réfléchir au cas par cas. Hors cancérologie, comme en rhumatologie, des sociétés savantes ont même considéré que l’arrêt de la cortisone pouvait être plus délétère que sa poursuite en période d’épidémie au coronavirus.
Dans tous les cas, il est indispensable de prendre l’avis de son médecin généraliste ou de son oncologue concernant sa poursuite ou son arrêt, qui sera discuté au cas par cas, chaque situation étant unique.
Peut-on continuer d’utiliser des anti-inflammatoires en application locale ?
Par mesure de sécurité, je ne recommande pas non plus l’utilisation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens sous forme de crèmes ou gels pour application locale, même si leur taux de passage dans le sang est très faible.
Dans son alerte, Oliver Véran conseillait de prendre du paracétamol en cas de fièvre. Quelques jours plus tard, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) publiait des recommandations pour « favoriser son bon usage« . Quelles précautions faut-il prendre avec ce médicament ?
Il faut en effet ne pas en abuser car au-delà de 4 grammes par 24 heures (ou moins en cas de maladie du foie ou chez la personne âgée par exemple), il peut être toxique. Il est déconseillé en cas de problèmes de foie, liés au cancer ou non, mais il peut être utilisé en cas d’insuffisance rénale.
Autre point de vigilance en cette période d’épidémie au coronavirus : comme certains anti-inflammatoires, le paracétamol est un antipyrétique [c’est-à-dire un médicament qui fait baisser la fièvre, NDLR]. Il peut donc masquer la fièvre provoquée par le virus, qui est l’un des symptômes de dépistage.
La douleur peut aussi être soulagée par d’autres approches ?
Oui, n’oublions pas toutes les méthodes non médicamenteuses de traitement de la douleur, que l’on ne peut que recommander de toute façon en association ou non avec ces traitements antalgiques. Il existe des approches psychocorporelles : hypnose, méditation, sophrologie, relaxation… Des thérapies physiques : kinésithérapie et ostéopathie, ergothérapie, psychomotricité, posturologie, activité physique adaptée… On peut aussi avoir recours à des techniques particulières : neurostimulation transcutanée, laser basse intensité, cryothérapie…
LES DIFFÉRENTS TYPES DE DOULEURS
La douleur est un signal d’alarme envoyé à notre cerveau pour qu’il déclenche une réaction adéquate. On distingue deux types de douleurs selon l’endroit d’où l’information provient :
– Les douleurs nociceptives sont générées par des récepteurs, des nocicepteurs, que nous avons un peu partout dans l’organisme. Ils envoient un message à notre cerveau via les nerfs. Certains nocicepteurs sont par exemple sensibles à la chaleur : ce sont eux qui nous poussent à retirer notre main d’une surface trop chaude.
– Les douleurs neuropathiques sont générées par les nerfs eux-mêmes suite à une lésion par exemple. Elles sont ressenties comme des sensations de picotements ou de brûlure.
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Propos recueillis par Émilie Groyer