Lorsqu’il a observé que le nombre de nouveaux cas de cancers du sein chutait brutalement depuis le confinement, le Pr Bonnefoi, oncologue médical à l’Institut Bergonié (Bordeaux), aurait pu se réjouir. « C’est une fausse bonne nouvelle. Les cas de cancer ne diminuent pas. Cela reflète juste le fait que les femmes ne consultent plus » explique-t-il.
Devant ce constat alarmant, le Professeur a pris les choses en main et a décidé, avec l’appui de l’Institut, d’émettre un communiqué. « Cancer du sein : il faut reprendre le dépistage sans attendre et nous sommes prêts ». Le titre peut paraître anxiogène. « C’est vrai mais je voulais provoquer une réaction. » Sous-entendu : avant qu’il ne soit trop tard.
Le dépistage de certains cancers du sein ne peut pas attendre
Car si dans la majorité des cas, le dépistage – c’est-à-dire le diagnostic sans symptôme – peut attendre plusieurs mois, certains types de cancers nécessitent une prise en charge rapide. C’est le cas des cancers du sein HER2+ ou des cancers triple négatifs.
« Les cancers HER2+ et triple négatifs sont à évolution rapide. Il ne faut donc pas attendre, explique le Pr Bonnefoi. Habituellement, nous traitons 10 à 12 cas par semaine. Dès la première semaine du confinement, on est passé à 6. Les semaines suivantes à 2. C’est inquiétant. »
Relancer le dépistage organisé
Le communiqué a été envoyé à tous les médecins généralistes, gynécologues et radiologues de la région. « Pour les inciter à reprendre leur activité » explique l’oncologue. Mais si les femmes ne viennent pas les consulter, le problème reste entier. « En effet, les médecins ne pourront pas appeler chacune de leur patientes pour les alerter » reconnaît le Pr Bonnefoi.
« Les cancers HER2+ et triple négatifs sont à évolution rapide. Il ne faut donc pas attendre«
En temps normal, un dispositif permet de palier ce problème : c’est le dépistage organisé du cancer du sein1. Il prévoit que toutes les femmes de 50 à 74 ans reçoivent par courrier un invitation à se rendre chez un radiologue agréé pour effectuer des examens de contrôle (mammographie et examen clinique). Mais depuis le début de l’épidémie de Covid-19, celui-ci a été suspendu. « Au regard du risque d’exposition et de dissémination du Covid-19, les démarches de dépistage des cancers doivent être considérées comme moins prioritaires, explique l’Institut National du Cancer (INCa), en charge de la mise en œuvre du dispositif. Même si une interruption du dépistage risque de conduire à des pertes de chances, elles ne peuvent être évaluées pour des délais aussi courts que ceux prévus pour cette période de confinement. »
Une reprise qui reste à définir
Dans son allocution du 19 avril, le premier ministre, Édouard Philippe, mettait déjà en garde sur cette baisse du dépistage des cancers : « C’est grave, c’est une situation qui doit nous alerter » commentait-il, avant d’ajouter qu’une « reprise progressive des activités programmées dans les établissements de santé publics et privés » était à l’étude. Quand ? Interrogée sur ce point, l’INCa n’a pas été en mesure de répondre précisément : « Seules les invitations à participer à ces dépistages ont été arrêtées et reprendront, selon un schéma sur lequel l’Institut travaille actuellement avec les acteurs de santé publique, dès que la situation le permettra. Il s’agira de proposer une stratégie de reprise afin de prioriser et d’organiser le processus national de rattrapage des dépistages tout en tenant compte des capacités des professionnels de santé. Un travail au niveau local et national est engagé pour traiter ces questions d’organisation de la reprise ; pour éviter par exemple l’engorgement, des priorités pourront être données. Elles restent à définir. » L’Institut réfléchit également à la prise en charge des femmes qui devront rester confinées au-delà du 11 mai.
De l’avis du Pr Bonnefoi : « Il est encore temps d’éviter les pertes de chances liées au retard de diagnostic. Il faut y aller. » Alors, allons-y.
Emilie Groyer
1. Des dispositifs équivalents existent également pour le cancer du col de l’utérus et colorectal