CE QU’IL FAUT RETENIR :
– L’instabilité microsatellitaire révèle une défaillance des systèmes de réparation de l’ADN
– On la retrouve dans 15% des tumeurs colorectales localisées et 5% des tumeurs métastatiques
– La présence d’une IM dans une tumeur colorectale au stade métastatique est une indication pour l’immunothérapie
– La présence d’une IM dans une tumeur colorectale est un indice pour un diagnostic du syndrome de Lynch qui prédispose aux cancers colorectaux, de l’endomètre et des ovaires.
Ces dernières années, l’oncologie tend vers une personnalisation des traitements basée sur la génétique de chaque tumeur. Dans le cancer colorectal, une anomalie moléculaire se révèle être d’un intérêt majeur à la fois pour le choix de certains traitements, l’orientation vers une désescalade thérapeutique ou encore l’amélioration du suivi des patients à risque. Il s’agit de l’instabilité microsatellitaire.
Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est une instabilité microsatellitaire ?
Dr Bruno Buecher : L’ADN comporte naturellement des séquences répétées d’une ou de plusieurs bases nucléiques : A, G, T, C1. Par exemple : AAAAA, CACACACA, CAGCAGCAG… Ces séquences « répétitives » sont appelées des microsatellites. Lorsqu’une cellule se divise et qu’elle réplique son ADN, des erreurs peuvent se produire, notamment au niveau de ces structures répétitives que sont les microsatellites. Le nombre de répétitions des microsatellites se met à alors varier : c’est ce qu’on appelle l’instabilité des microsatellites ou IM. MSI en Anglais.
À quoi est due cette IM ?
Ce qu’il faut comprendre c’est qu’il n’est pas rare que des erreurs surviennent lors de la réplication de l’ADN. Mais, en général, elles sont corrigées par des systèmes chargés d’identifier et de réparer ces erreurs.
Il peut arriver que ces systèmes de réparation soient défectueux, soit suite à une mutation somatique, soit en raison d’une mutation constitutionnelle2 comme c’est le cas dans le syndrome de Lynch. Cette défaillance conduit à une IM mais également à de très nombreuses autres altérations du génome.
C’est ce qu’on observe dans le cancer colorectal ?
Tout à fait. Environ 15% des tumeurs localisées présentent une IM. Au stade métastatique, cette proportion est de seulement 5%. Les tumeurs avec une IM ont donc une moindre propension à donner des métastases.
Si les tumeurs avec une IM ont moins tendance à métastaser, est-ce que l’IM peut servir d’indicateur pour alléger les traitements ?
Dans certains cas, oui. Dans les cancers du côlon de stade II, c’est-à-dire sans atteinte ganglionnaire, les bénéfices de la chimiothérapie adjuvante sont globalement incertains. Dans cette situation, il est impératif de rechercher une IM. Si elle est présente, cela signifie que la tumeur a peu de chance de métastaser. On peut donc éviter la chimiothérapie.
À l’inverse, est-ce que l’IM peut être la cible de traitements spécifiques ?
Indirectement, oui. Les tumeurs qui présentent une IM ont également une charge mutationnelle élevée car, on l’a vu, leur système de réparation des erreurs est défaillant. Or, on sait que les tumeurs qui ont plus de mutations sont plus immunogènes. Elles sont donc potentiellement plus sensibles à l’immunothérapie.
Cela a été démontré par différents essais cliniques au cours des dernières années. Récemment, l’étude KEYNOTE-177 a notamment prouvé le bénéfice du pembrolizumab, un anti-PD1, dès la première ligne de traitement en situation métastatique. Cette immunothérapie est mieux tolérée que la chimiothérapie, qui est le traitement standard. Ses résultats sont aussi globalement très supérieurs. Il y a eu plusieurs cas impressionnants de réponses complètes prolongées et probablement de guérison.
Une immunothérapie devrait dorénavant être proposée à tous les patients dans une telle situation. Ceci implique que la recherche d’une IM tumorale soit réalisée chez tous les patients atteints d’un cancer colique ou rectal métastatique.
Vous l’avez dit : l’IM est davantage observée dans les tumeurs au stade localisé qu’au stade métastatique. Pourquoi l’immunothérapie n’est-elle pas proposée dès les stades précoces dans ce cas ?
Vous posez une question tout à fait intéressante et d’actualité. Il est effectivement logique d’évaluer l’immunothérapie chez les patients avec des cancers colorectaux localisés et donc opérables au moment du diagnostic. Des études sont actuellement en cours pour les cancers de stades III notamment, c’est-à-dire avec métastases ganglionnaires. Elles testent différents agents d’immunothérapie administrés soit en pré-opératoire – traitement néo-adjuvant -, soit en post-opératoire – traitement adjuvant -, seuls ou en association à la chimiothérapie.
On a obtenu des résultats très prometteurs récemment, en particulier avec l’approche pré-opératoire qui semble conduire dans un certain nombre de cas une disparition complète des tumeurs. On pourrait donc éviter la chirurgie dans ces cas de réponse complète clinique.
Il est probable que l’immunothérapie trouve bientôt sa place dans des phases plus précoces mais des études complémentaires sont nécessaires avant qu’elle ne devienne un standard de traitement.
On l’a vu, le syndrome de Lynch prédispose aux cancers colorectaux. Là encore, l’IM apporte une information importante pour le suivi des patients ?
Le syndrome de Lynch est une prédisposition génétique aux cancers colorectaux mais également à d’autres cancers, notamment de l’endomètre et des ovaires. On parle de « forme héréditaire ». Il est donc essentiel d’en faire le diagnostic. L’IM constitue un bon indice pour établir ce diagnostic puisque, comme on l’a vu, le syndrome de Lynch est toujours associé à une IM.
Si je suspecte qu’une patiente est atteinte d’un syndrome de Lynch parce qu’elle développe un cancer colique à un jeune âge et/ou qu’elle a des antécédents familiaux de cancers colorectaux ou de l’endomètre, le fait que son cancer ait une IM va me donner un argument supplémentaire en faveur de ce diagnostic. Je vais alors l’orienter vers une consultation d’oncogénétique pendant laquelle on vérifiera si la patiente est porteuse de la mutation constitutionnelle responsable du syndrome de Lynch.
Si c’est le cas, on pourra mettre en place une surveillance spécifique. On pourra également proposer à sa famille de réaliser des tests génétiques afin de savoir s’ils sont ou non concernés par cette prédisposition.
Propos recueillis par Émilie Groyer
1. A pour Adénine, G pour Guanine, T pour Thymine, C pour Cytosine
2. Contrairement aux mutations somatiques ne se transmettent pas à la descendance, les mutations constitutionnelles sont héréditaires car elles touchent une cellule à l’origine des gamètes (spermatozoïdes chez les hommes, ovules chez les femmes).