Vanessa a 29 ans. Les médecins lui ont diagnostiqué un cancer colorectal métastasé au foie. Son cas est extrêmement rare étant donné son âge et l’avancement de sa maladie, alors elle passe son temps dans les couloirs des hôpitaux, auscultée sous toutes les coutures comme une bête de foire. Quand on lui propose d’intégrer un programme qui permet d’écourter la durée de son hospitalisation, elle saute sur l’occasion. « L’hôpital qui m’a suivie au départ ne voulait pas m’opérer alors j’ai demandé un second avis médical à Ambroise-Paré. Là, non seulement ils ont accepté la chirurgie mais ils m’ont proposé d’intégrer la RAAC » explique la jeune femme.
La RAAC – ou Récupération Améliorée Après Chirurgie – a été développée à l’origine en orthopédie pour les personnes âgées devant subir une opération de prothèse de hanche. Il a depuis été adapté à la chirurgie du cancer colorectal qui impacte lourdement les muscles abdominaux et le transit intestinal. « Son but est de mieux supporter l’opération, d’améliorer les conditions du séjour à l’hôpital, de limiter les complications post-opératoires et de rendre les patients plus autonomes, plus tôt » explique le Pr Frédérique Sophie Peschaud, chef du service chirurgie viscérale et digestive à l’hôpital Ambroise-Paré. Comment ? En préparant le malade avant la chirurgie et en l’accompagnant pendant et après.
Une préparation sportive et nutritionnelle
La préparation est d’abord sportive. « Deux semaines avant mon opération, j’ai rencontré l’éducateur sportif. Il m’a expliqué que le plus important c’était que je puisse me lever rapidement après la chirurgie pour relancer le transit. Il m’a donné des exercices pour me muscler les jambes : des squats, des fentes, de la marche, du vélo. J’avais arrêté le sport depuis que j’étais malade à cause de la fatigue. Ça m’a remis le pied à l’étrier. Je me suis découvert une passion pour ces exercices et j’ai acheté un vélo d’appartement, s’amuse Vanessa. Je faisais au moins 45 minutes de sport, plusieurs fois par semaine. Et je me suis rendu compte que ça m’aidait aussi à me remettre des chimio. » Bien entendu, pas besoin d’être un athlète pour bénéficier du programme : les exercices sont adaptés au niveau de chacun. « Nous proposons systématiquement la RAAC à tous les patients atteints de cancer colorectal, quel que soit l’âge. »
La préparation est également nutritionnelle. « Un anesthésiste va faire un bilan sanguin. S’il détecte une dénutrition, on donnera des compléments alimentaires aux patients. Ils vont apporter de l’énergie mais aussi stimuler le système immunitaire qui sera altéré par la chirurgie. Cette analyse sanguine nous permet aussi de révéler une éventuelle anémie : c’est assez courant dans le cas des cancers digestifs en raison des saignements. La dépister en amont permet d’éviter les transfusions post-opératoires. » explique le Pr Peschaud. En plus de ces compléments, l’alimentation est adaptée. « J’ai eu un régime sans déchet. Pas de fruit, pas de légume, uniquement de la viande maigre. Ça m’a permis de préparer mon intestin sans avoir recours au lavement, complète Vanessa. Et la veille de l’opération, j’ai pris des compléments alimentaires sous forme de boissons. » Fini donc le jeûne avant le passage au bloc. « Avant, on pensait qu’il fallait laisser l’intestin au repos. En fait, on s’est aperçu qu’il faut le stimuler pour qu’il reparte plus vite » explique la chirurgienne.
Se réveiller sans angoisse
Bien encadrée, Vanessa aborde son entrée au bloc sereinement. « La seule chose qui me stressait c’était les sondes gastrique et urinaire. Je n’avais pas envie de me voir avec toutes ces choses reliées à moi à mon réveil. Et j’avais peur que ça me fasse mal quand on me les enlèverait… » reconnaît la jeune femme. Là encore, cette source d’angoisse a été anticipée dans le protocole RAAC : les sondes sont mises en place et retirées pendant l’intervention, alors que la patiente est encore endormie. « Ça m’a complètement rassurée » se souvient Vanessa.
Après 6 heures d’opération, la jeune se réveille sans fringale et peut aller aux toilettes toute seule ! Un petite prouesse qui a étonné la jeune femme : « Le fait d’avoir musclé mes cuisses m’a permis de me lever sans me servir de mes abdominaux qui avaient été sectionnés pendant l’opération. » L’anesthésie générale, allégée dans le protocole RAAC, participe également à sa remise sur pied rapide. Quant à la douleur, c’est Vanessa qui la gère. « J’avais à ma disposition un appareil que je pouvais introduire dans ma bouche pour qu’il me délivre des comprimés d’analgésiques orodispersibles. Je l’ai très peu utilisé car les douleurs étaient tout à fait supportables » explique la jeune malade. Le choix de ce mode d’administration ne tient pas au hasard : les pompes à morphine, habituellement utilisées en post-opératoire, causent des nausées aux patients.
Changer les habitudes
Entrée un mardi, Vanessa est autorisée à sortir de l’hôpital le vendredi midi. « En moyenne, le protocole RAAC permet de réduire la durée du séjour de 48 à 72 heures » constate le Pr Peschaud. Pour atteindre un tel résultat, une bonne coordination de tous les services est indispensable. Il faut aussi que le personnel soignant joue le jeu. « Le protocole RAAC va à l’encontre de pas mal d’idées reçues : être à jeun avant l’opération, rester alité après… Il faut changer les habitudes, ce n’est jamais facile » reconnaît le Pr Peschaud. Vanessa en a été témoin : « Une de mes infirmières estimait que je ne devais pas bouger et n’a pas voulu que je me mette debout. J’ai dû appeler une autre infirmière, qui était au courant du protocole, pour quitter mon lit. »
Reprendre le contrôle
Et l’accompagnement ne s’arrête pas là. Vanessa repart chez elle avec le numéro d’un chirurgien joignable 24h/24 en cas d’urgence. Elle est contactée régulièrement par l’infirmière de coordination qui vérifie son alimentation, l’état de son transit et qu’elle continue de faire de l’exercice. Une sollicitude dont la jeune femme n’avait pas l’habitude : « Depuis un an, je suis traitée comme LE cas à part. Pour la première fois, j’ai senti que le but des soignants était mon bien-être avant tout. » La RAAC lui aura aussi permis de moins subir son état. « Quand on est malade, on a l’impression de perdre le contrôle de tout : de sa vie, de son corps… Grâce à ce protocole, j’ai pu reprendre la main. C’est toi qui décides si tu te lèves ou si tu restes couchée comme une larve. Quand j’ai réussi à me lever après mon opération, c’était une vraie victoire pour moi. »