À l’aube de mes 40 ans, je n’ai toujours pas d’enfant. Eh oui ! Et je passe mon temps à m’en justifier, voire à m’en excuser. Aux yeux des autres, c’est presque plus grave que si j’annonçais avoir une maladie grave. Pourtant, je suis en bonne santé. Certes, je traverse un désert affectif, mais j’ai un boulot, des amis, une vie « normale », quoi ! Et j’ai une passion depuis toujours : le théâtre. Je joue « en amateur », et ça m’éclate. Si j’en crois ce que l’on me dit, je suis d’ailleurs plutôt douée. Pour autant, mon désir d’enfant ne me quitte pas. En attendant, je m’occupe des enfants des autres, et faute de m’entendre appeler maman je m’entends appeler tata !
Au milieu de ma vie, j’attends qu’il se passe quelque chose. Alors que je consulte mon gynéco pour un simple bilan de routine, les résultats du frottis me reviennent indiquant « des lésions suspectes sur le col de l’utérus ». Petite chirurgie, une conisation, pas de traitement, mais un suivi médical rapproché. Je ne m’inquiète pas plus que ça. Dans le même temps, une amie me propose un joli projet : m’écrire un spectacle. Un seule-en-scène sur les femmes de 40 ans qui – devinez ? – n’ont pas d’enfant !
Mai 2016, voilà, j’ai 40 ans. La vie continue, mais pour la première fois je me sens vulnérable. Seule. Et je veux toujours être mère. Début 2017, frottis de contrôle. Les lésions sont encore là. Il faut refaire une conisation. Mon gynécologue est confiant. « Partez en vacances sans crainte. » À mon retour, dix jours plus tard, j’ai rendez-vous en urgence, et cette phrase tombe : « il va falloir tout enlever ». C’est la première que je retiens avant même d’entendre le mot cancer. J’avale ma salive, mes yeux se mouillent, mais je ne m’effondre pas. Ce diagnostic est juste inenvisageable, car avec lui toujours pas d’enfant devient jamais.
Ce que je vis durant les semaines et les mois de cette année 2017, notamment la dureté, la violence des traitements – chirurgie, radiothérapie, curiethérapie –, me terrasse. Féminité, intimité… Je subis un tsunami. J’ai peur, j’ai mal, je me sens vide. J’imagine « mon intérieur », mon cancer invisible, et mon appareil génital meurtri, amputé de l’essentiel. Mon utérus, celui sur qui je comptais pour devenir mère, m’a laissée tomber.
Apprendre à vivre « avec », comme on dit, c’est pour moi apprendre à vivre sans. Une chose s’impose à moi : ce cancer n’a aucun sens, et il faut que je lui en trouve un. Je prends la mesure de ce qui m’arrive. Le pathos, ce n’est pas mon genre. Il me faut rester positive et envisager mon avenir avec un nouveau regard, sans perdre mon humour. Il faut un gagnant. Et, puisque la vie s’est jouée de moi, je décide que c’est à mon tour de me jouer d’elle.
« Que le grave flirte avec le léger »
Septembre 2018, j’envoie valser ma vie « normale ». Je quitte mon job dans les ressources humaines, et ma zone de confort, pour mettre enfin à profit mes 25 ans de cours de théâtre. Ce seule-en-scène qui s’écrit sur les femmes qui n’ont pas encore d’enfant devra servir à ça : devenir comédienne à temps plein.
J’ai 42 ans et je porte mon « bébé » : un spectacle sur une femme qui n’en aura jamais. Une mise en abyme, certes, mais où l’humour fera loi ! Sans oublier de passer un petit message de sensibilisation à la nécessité de comprendre qu’un simple frottis vaginal peut sauver des vies. Ligne d’écriture : que le grave flirte harmonieusement avec le léger.
LIRE AUSSI : Cancer du col de l’utérus : le frottis remplacé par le test HPV pour les femmes de plus de 30 ans
Novembre 2018, la pièce est née, elle s’appelle Ex utero1. Showtime ! Je joue la première au théâtre du Guichet Montparnasse, à Paris. C’est vertigineux ! Mais, déjà, je veux aller au-delà. Je découvre l’association Imagyn et j’adhère à son engagement pour sensibiliser aux cancers gynécologiques et faire avancer la société sur ce sujet tabou. Une partie des bénéfices de ma pièce va aider à faire connaître l’association.
2021. Si la crise du Covid-19 a freiné mon élan, si 4 ans après mon amputation je suis une femme nullipare, je ne suis pas nulle pour autant ! Femme je suis, femme je reste. Remplie de mon désir de vivre, je livre mon combat dans la sororité, en espérant être utile. Advienne que pourra…
INFO +
Pour consulter les dates de Sabrina Nanni, rendez-vous sur son site internet.
Bernadette Fabregas
Illustration de Martin Jarrie
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 21, p. 150)
1. Ex utero, avec Sabrina Nanni, texte de Sophie Brugeille, mise en scène de Claire Traxelle.