Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est l’ayurveda ?
Kiran Vyas : L’ayurveda est une science de la vie qui s’intéresse à l’épanouissement de l’être. Elle repose sur des concepts qui ne sont pas toujours faciles à comprendre pour les Européens.
Le plus connu est sans doute le dosha. Selon les grands sages de l’ayurveda, nous sommes faits de 5 éléments : l’éther, l’air, le feu, l’eau et la terre. Ils s’associent 2 par 2 pour définir notre nature, notre dosha. Quand l’éther s’associe à l’air, on parle de dosha Vata. Les individus Vata sont aériens, ils vivent plutôt dans l’imaginaire. Les Pitta sont colériques et ont un intelligence aiguë. Ils aiment la musique et les arts. Les Kapha aiment la stabilité, l’immobilité voire la paresse. L’ayurveda va les harmoniser.
L’ayurveda entretient aussi le « feu » des 13 agnis. Ce sont les feux digestifs des sucs gastriques qui aident à la digestion, les feux métaboliques des enzymes ou encore les feux émotionnels qui donnent la passion de l’amour, l’inspiration… Elle renforce les dhatus, les tissus et fluides qui constituent notre organisme. Elle favorise l’élimination des malas : les selles, les urines et la sueur. Elle maîtrise les indryas, nos 5 sens, pour nous maintenir dans un état de joie.
Il s’agit vraiment d’une approche globale du corps et de l’esprit.
Vous étiez enseignant et directeur d’école à l’origine. Comment vous est venue l’idée d’ouvrir un centre d’ayurveda ?
J’étais enseignant de math / physique en Inde et j’ai dirigé plusieurs écoles. J’avais une approche de l’éducation à travers les arts qui a intéressé l’UNESCO. J’y ai travaillé 10 ans au sein de l’ONG Société internationale pour l’éducation par Art. C’était dans les années 70. Le yoga et l’ayurveda commençaient à arriver en France mais je trouvais qu’ils n’étaient pas enseignés de façon authentique. À la demande de la Maison de l’UNESCO, j’ai donc commencé à donner des séminaires sur le sujet. En 1982, j’ai fondé le centre ayurveda Tapovan à Paris pour dispenser des massages et former des masseurs thérapeutes. Et puis, j’ai cherché un autre lieu qui me permettrait d’accueillir des gens dans un cadre plus reposant, plus proche de la nature, où je pourrais proposer des repas adaptés… C’est comme ça que j’ai ouvert le deuxième centre Tapovan en Normandie, à côté de Fécamp.
Comment avez-vous été vous-même formé à l’ayurveda ?
J’ai eu un enseignement traditionnel, maître/discipline. J’ai eu la chance d’être formé par de grands maîtres qui étaient amis de mes parents et qui ont fondé par la suite les premières universités d’ayurveda. Aujourd’hui, en Inde, on devient médecin ayurvédique comme on devient médecin allopathe en France : il faut faire au minimum 8 ans d’études, 10 si on veut se spécialiser, et on fait son internat dans des Centres Hospitalo-Universitaires d’ayurveda…
Mais, en Inde, on apprend certains massages dès le plus jeune âge. À 4 ans, mes parents m’ont appris Kansu : un massage du pied avec un petit bol en métal que l’on fait glisser sur la voûte plantaire avec du ghee, du beurre clarifié. Il calme l’esprit et, comme on stimule toutes les zones de réflexologie, il fait du bien à l’ensemble du corps. Je le faisais à mes grands-parents. En échange, ils me racontaient des histoires de la mythologie indienne. Et quand mon grand-père voulait que le massage dure plus longtemps, il rallongeait l’histoire !
En Inde, comment traite-t-on le cancer et comment l’ayurveda est intégré aux traitements ?
En Inde, il existe les mêmes traitements allopathiques qu’en France : chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie… L’ayurveda ne s’y oppose pas. Les 2 peuvent se complémenter.
Pour le cancer du sein par exemple, comme il touche à la féminité, on va travailler sur l’identité même de la malade et les raisons profondes qui ont fait que le cancer est arrivé. En fonction de cela, on va lui proposer des médicaments adaptés à base de plantes. C’est un traitement totalement personnalisé. On va aussi agir sur le régime alimentaire. Classiquement, on va éviter le sucre et les protéines et réduire les aliments acides comme certains fruits. On va favoriser la nourriture alcaline – riz complet, soja vert… – et amer – fenugrec [une plante réputée pour ses propriétés apaisantes et favorisant la digestion, NDLR], chicorée… Et il y a les massages bien sûr qui vont aider à ré-équilibrer les énergies.
En France, l’ayurveda est pratiquée uniquement dans une approche de bien-être. Peut-elle quand même soulager les malades ?
Les cures que nous proposons à Tapovan visent à lutter contre le mal-être en améliorant le bien-être. Nous ne prétendons pas lutter contre les maladies.
Mais l’ayurveda “bien-être” peut quand même aider les malades à surmonter le choc émotionnel lié à l’annonce du cancer. On constate souvent que les personnes baissent les bras après avoir été diagnostiqués. En ayurveda, on pense que c’est parce que leur Vatta est perturbé et que leurs feux sont éteints. Les massages peuvent aider à équilibrer ces éléments.
Shirodhara par exemple va calmer le mental en agissant sur Vatta. Pendant ce massage, on verse en continu de l’huile de sésame sur le front des curistes dans un mouvement pendulaire, de gauche à droite et de droite à gauche. Dans les hôpitaux ayurvédiques en Inde, c’est un traitement réservé aux cas extrêmes de paralysie ou de désordres mentaux comme la schizophrénie. Mais je me suis dit que cela pourrait aussi être bénéfique aux personnes qui ont un mental trop agité. Alors je l’ai testé sur certaines personnes et j’ai obtenu de bons résultats. Je le propose maintenant dans les cures bien-être. On peut aussi aider à mieux supporter les effets indésirables des traitements anti-cancéreux en calmant le feu de Pitta avec Kansu par exemple.
Propos recueillis par Émilie Groyer