Le 10 décembre dernier, vous avez reçu le Outstanding Investigator Award décerné par la prestigieuse AACR1. C’est la première fois qu’il est attribué à un médecin-chercheur français depuis sa création en 2008. Que représente pour vous cette récompense ?
Pr André : Ce prix est pour moi la reconnaissance de mes pairs. Il montre que mes collègues apprécient mes travaux. C’est motivant.
Ce prix a d’autant plus de valeur qu’il ne se base pas sur le nombre d’articles scientifiques que vous publiez. Il récompense des travaux qui ont eu un réel impact – direct ou indirect – sur la prise en charge des patients.
Ce prix récompense vos travaux dans un domaine qui prend de plus en plus d’ampleur en oncologie : l’analyse génomique. Pouvez-vous nous rappeler en quoi cela consiste ?
Il faut d’abord rappeler que l’analyse génomique permet d’identifier des anomalies au niveau de gènes responsables du cancer. En identifiant ces anomalies, on peut développer de nouveaux médicaments qui vont les cibler spécifiquement. C’est ce qu’on appelle la médecine de précision.
Il y a encore quelques années, pour chaque marqueur qu’on voulait identifier, il fallait faire un test. Donc si on voulait tester 10 marqueurs, il fallait faire 10 tests. Ça posait problème. D’une part, parce qu’on ne pouvait pas comparer les résultats car les tests étaient différents. D’autre part, c’était fastidieux à mettre en place d’un point de vue logistique. Et comme c’était compliqué, on ne testait pas toutes les anomalies, à commencer par les anomalies rares.
En quoi vos travaux ont contribué à faire évoluer la médecine de précision ?
On a d’abord conceptualisé, notamment avec le Dr Delaloge et le Dr Soria, le fait qu’il faudrait regrouper tous ces tests dans une seule analyse. Ensuite, on a montré que c’était faisable techniquement. Et enfin, que c’était utile d’un point de vue clinique pour les patients.
Lors du dernier congrès international d’oncologie de San Antonio, vous avez présenté les résultats de votre dernière étude, SAFIR-02. Qu’apporte-t-elle ?
Actuellement, les oncologues disposent de nombreuses données quant au statut génomique de leurs patients. Mais il est parfois difficile de les interpréter. Grâce à cette étude financée par la Fondation ARC, nous avons montré 2 choses.
La première c’est qu’il est utile de proposer un séquençage multigénique aux femmes atteintes d’un cancer du sein car il permet de leur proposer le traitement optimal pour elles. La seconde, c’est que, pour décider quel traitement choisir en fonction des anomalies identifiées, il faut se baser sur l’ESCAT. Cette échelle, mise en place par l’ESMO2, fait correspondre une mutation avec un médicament et donne un niveau de preuve concernant le bénéfice attendu.
Dorénavant, les rapports de séquençage devront donc intégrer cette classification. C’est un vraie aide à la décision pour les oncologues.
Où en est la France concernant l’accès à la médecine de précision ?
En France, des dispositifs sont en place pour que les séquençages soient accessibles et pris en charge. Mais ce n’est qu’une partie de l’équation. La médecine de précision, c’est un couple anomalie/thérapie ciblée.
Or, toutes les thérapies ciblées que nous avons étudiées dans l’essai SAFIR-02 ne sont pas accessibles en France. Pour différentes raisons. Soit parce qu’elles ne sont pas remboursées, soit parce que les essais cliniques qui permettraient d’y avoir accès ne sont pas ouverts en France. L’INCa essaie de régler le problème notamment avec les nouveaux programmes AcSé3.
Parce que si on a accès aux dispositifs qui permettent d’identifier l’anomalie mais qu’on n’a pas accès au médicament qui la cible, ça ne sert à rien.
Propos recueillis par Emilie Groyer
1. American Association for Cancerology Research. Société savante américaine d’oncologie.
2. European Society for Medical Oncology. Société savante européenne d’oncologie.
3. Accès Sécurisé à des thérapies ciblées innovantes. Programme permettant de contribuer à accélérer l’émergence de l’innovation au bénéfice des patients.