“On commence à bien connaître les effets des nutriments mais on sait aussi que dans l’alimentation circulent beaucoup d’autres produits bioactifs qui ne sont pas inertes vis-à-vis de notre organisme.” Le Dr Srour est épidémiologiste de l’EREN1 et coordonnateur du Réseau NACRe2. Il y a presque un an, il contribuait à démontrer un lien entre la consommation de produits ultratransformés et la survenue d’un cancer. Mais l’étude n’avait pas pu déterminer comment ces aliments participent au développement d’une tumeur. Est-ce uniquement en raison de leur pauvre apport nutritionnel ? Ou existe-t-il une autre cause ?
Les perturbateurs endocriniens : the usual suspects
Le chercheur ne manque pas de suspects. Additifs alimentaires, pesticides, substances présentes dans les emballages plastiques capables de migrer dans la nourriture, produits dits “néoformés” lors de la cuisson des aliments… Beaucoup sont soupçonnés d’être des perturbateurs endocriniens. Mais de l’avis même de l’Anses3, chargée d’établir d’ici 2021 la liste de ces molécules capables de perturber nos hormones, nous ne disposons pas de suffisamment de données pour conclure sur la dangerosité de ces substances. Le Dr Srour compte bien combler (en partie) ce manque grâce à une étude pour laquelle il a reçu le prix Bettencourt pour les jeunes chercheurs.
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Un lien avéré entre consommation d’aliments ultratransformés et présence de perturbateurs endocriniens dans l’organisme
“Ce qui nous a orienté sur cette voie, c’est que de précédentes études ont montré que la surconsommation d’aliments ultratransformés est associée à une concentration plus élevée de phtalates et de bisphénols dans les urines.” Phtalates. Bisphénols. Deux perturbateurs endocriniens potentiels. “Le fait d’avoir associé la surconsommation d’aliments ultratransformés et la survenue de cancers d’une part, et que les consommateurs d’aliments ultratransformés seraient plus exposés aux phtalates et aux bisphénols d’autre part, fait que ces substances pourraient expliquer pourquoi les aliments ultratransformés sont associés à un risque accru d’avoir un cancer. C’est ce qu’on cherche à vérifier.”
Une première dans les études épidémiologiques : recueillir la marque des produits
Les suspects sont identifiés. Les victimes aussi : il existe de nombreuses enquêtes nutritionnelles au cours desquelles des consommateurs ont été interrogés sur leurs habitudes alimentaires. Alors pourquoi le (ou plutôt les) coupables n’ont pas encore été désignés ? “Dans les études nutritionnelles classiques, on va regarder par exemple la consommation d’un biscuit au chocolat. On va donc avoir des informations nutritionnelles. Mais nous n’aurons pas d’indication sur l’emballage ou les additifs car ils varient d’un produit commercialisé à l’autre. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas pour le moment d’étude chez l’Homme qui évalue l’impact de ces éléments” explique le Dr Srour. Heureusement, l’épidémiologiste dispose d’une arme redoutable : l’étude de cohorte NutriNet-Santé. Depuis 11 ans, elle recueille les données sur les habitudes alimentaires de centaines de milliers de “nutrinautes”. Et elle collecte un élément crucial, que la plupart des autres études négligent : la marque des produits. “Grâce à cette information, on sera capable d’évaluer une exposition chronique aux additifs alimentaires et à différentes substances controversées comme on le fait avec les nutriments.”
Donner une réponse claire aux agences sanitaires
Évaluer l’exposition chronique. Grâce à la cohorte nutrinet, le chercheur sera en effet en mesure d’évaluer l’impact de ces substances dans le temps. Une information majeure qui pourrait conduire à changer les réglementations. “On dit souvent que les additifs sont en trop faible dose dans les produits pour avoir un impact sur la santé mais est-ce que l’exposition, même à faible dose, mais sur une longue période peut-être associée à des maladies comme le cancer ? C’est cette donnée qui manque aux agences d’évaluation sanitaire pour avoir des réponses claires sur les additifs.”
Et il en va de même pour les emballages. “Le Bisphénol A, qu’on sait être un perturbateur endocrinien, a été interdit en France. Le problème c’est qu’il commence à être remplacé par le Bisphénol S. Or, une étude publiée en 2019 par une équipe de Toulouse montre que le Bisphénol S serait 80 fois plus absorbé que le A et aurait les mêmes effets de perturbation endocrinienne. Remplacer une molécule par une autre dont on ne connaît rien n’est pas la solution.”
L’étude du Dr Srour répond à un réel enjeu de santé publique. Mais comme toute étude épidémiologique, elle prendra du temps : les résultats ne sont pas attendus avant 2 ans…
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Emilie Groyer
1. National Alimentation Cancer Recherche
2. Équipe de Recherche en Épidémiologie Nutritionnelle
3. Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail