Nous soumettrons-nous toutes, demain, au test du BRCA ? La question, tout iconoclaste qu’elle paraisse, n’est pas si absurde : responsable de 5 % des cancers du sein et de l’ovaire (et de certains cancers du pancréas et de la prostate chez l’homme), l’altération des gènes BRCA peut être repérée bien avant que la maladie ne se déclare.
Depuis que la généticienne américaine Mary-Claire King a révélé, en 1990, l’implication dans le développement de certains cancers du sein d’une mutation sur un gène BRCA, les découvertes se sont accumulées. Identifier des altérations BRCA1 ou BRCA2 ne permet pas seulement de comprendre comment une tumeur a pu naître, elle offre aussi aux hommes et aux femmes dépistés de se prémunir contre la formation d’une tumeur en faisant le choix d’une ablation préventive.
En 2015, on a atteint pas moins de 45 430 consultations en France. Recevoir un test positif à cette mutation ne signifier pas que l’on va fatalement développer un cancer mais indique un risque, quantifié statistiquement et, « dans le cas du BRCA, très fort », rappelle Frédérique Nowak, de l’Inca. La dernière étude internationale en date, portant sur 10 000 femmes, l’a précisé : le risque cumulatif d’avoir un cancer du sein avant 80 ans est de 72 % pour les porteuses de la mutation du BRCA1 et de 69 % pour les porteuses de celle du BRCA2 ; le risque de cancer de l’ovaire atteint les 44 % pour BRCA1 et 17 % pour BRCA2.
Les tests de séquençage, de moins en moins coûteux, permettent désormais assez rapidement de savoir : un résultat négatif indique que l’on est (relativement) à l’abri du spectre de certains cancers. Un résultat positif permet de les éviter si l’on fait le choix, radical mais e cace, d’une ablation préventive des seins et des ovaires. Ils permettent aussi de devenir la sentinelle de la santé de ses proches. Car cette mutation est héréditaire : les porteurs d’une altération du BRCA – femmes ou hommes – ont une chance sur deux de la transmettre à leurs enfants. La question est évidemment physique – être ou ne pas être porteur du gène défectueux –, mais aussi éthique : savoir ou ne pas savoir, partager ou ne pas partager cette information…
Une altération présente chez 1 personne sur 500
En France, depuis 2003 et l’inscription des diagnostics génétiques aux Plans cancers successifs, environ 20 000 femmes ont été identifiées BRCA-positives. Pourtant, il ne faut pas baisser la garde, « il faut informer, inlassablement, encore et toujours. Trop de femmes ignorent encore l’existence de ce risque », répète Laetitia Mendes, la très active présidente de l’association Geneticancer.Dans notre pays, « plus de 100 000 personnes des deux sexes sont porteuses et ne le savent pas », affirme le Pr Pascal Pujol. Cet oncogénéticien au CHU de Montpellier fonde son affirmation sur des données statistiques – l’altération du BRCA serait présente chez une personne sur cinq cents et milite pour élargir considérablement le recours au test : « On a un outil formidable qui permet de pointer des risques, pas inéluctables, mais évitables. Voir arriver des femmes à 60 ans avec un cancer des ovaires qu’on aurait pu prévenir, c’est un échec patent de la prévention ! »
Pionnière de ces consultations et chef du service de génétique à l’institut Curie, Dominique Stoppa-Lyon- net met en garde contre les idées trop simplistes : « Il faut informer les personnes sans se tromper dans l’estimation de leurs risques : ce n’est pas rien de recommander à une femme une ablation des ovaires ! » Or, le côté prédictif du test BRCA, % souligne-t-elle, a pour l’instant des limites : « Il ne donne pas une vision assez individualisée des risques tumoraux, auxquels s’associent sans doute d’autres facteurs qu’on ignore encore », explique la généticienne. Parfois, le test révèle aussi « des variantes de gènes BRCA dont nous-même, médecins, ne savons que faire, parce que nous n’en connaissons pas encore les implications. Alors, élargir la dépistage, oui mais avançons avec prudence !
En chiffres
5% des cancers du sein et de l’ovaire sont dus à une mutation du BRCA
100000 français sont porteurs du gène BRCA (et ne le savent pas)
Détecter une mutation doit servir le patient, permettre un traitement plus efficace ». C’est déjà le cas pour certains cancers de l’ovaire en rechute ; les porteuses du BRCA répondent à l’olaparib (un inhibiteur de Parp qui fait partie des nouvelles générations de thérapies ciblées.). Cette molécule pourrait obtenir dans les prochaines années son autorisation dans le traitement du cancer du sein métastatique. Une étude présentée au congrès de l’Asco2 en juin a révélé qu’elle diminue de 42 % le risque de progression de ces cancers du sein agressifs chez les porteuses de la mutation. Les tests permettent également d’adapter au mieux les traitements à la carte d’identité de la tumeur.
Une information lourde à porter pour le patient
Alors, à qui proposer le test ? « Il faudrait au moins offrir cette option à toutes les femmes à qui l’on diagnostique un cancer du sein, ce qui n’est pas encore le cas », plaide le Pr Pujol. Si le test se révèle positif, élargir à la parenté. À 2 000 euros le test, on imagine que cela pèserait sur le budget de la Santé. Sans compter que les 28 laboratoires spécialisés au service des 130 consultations d’oncogénétique réparties en France manqueraient de bras. Du reste, y sommes-nous prêts ? Les femmes touchées par le cancer, dans leur immense majorité, sans doute.
Ainsi, les patientes à qui l’oncologue recommande le test l’acceptent à 95 %. Cela a été le cas de Noëlle Bastide, montpelliéraine de 42 ans diagnostiquée en 2015, qui préside aujourd’hui l’association BRCA France : « Si difficile que soit le résultat, on récupère un peu de pouvoir. Celui d’agir, avec le choix entre une surveillance renforcée et une chirurgie préventive. Pour ma part je n’ai pas vécu l’ablation comme une mutilation mais, au contraire, comme une conjuration. Je me suis dit ‘‘c’est le premier jour du reste de ma vie’’ ! » La limite éthique demeure le libre arbitre : traquer la faille génétique dans nos arbres généalogiques, certes, mais que ce ne soit jamais imposé, répètent toutes les femmes qui ont sauté le pas.
Les proches parents des malades chez qui la mutation a été identifiée s’avèrent bien moins partants : le retour d’expérience français, publié dans la revue Breast Cancer Research and Treatment en 2013, évaluait à moins de 30 % les proches de porteurs du BRCA altéré se pliant à leur tour au test. Pourquoi ? Manque d’information, peur de savoir.
Depuis le décret du 20 juin 2013, toute personne à qui l’on a diagnostiqué une mutation génétique pouvant être à l’origine d’un cancer héréditaire est tenue d’en informer (elle-même ou via le généticien) ceux de sa famille qui peuvent être également concernés. Mais rien ne permet de vérifier que l’information circule et aucune mesure coercitive n’est prévue. Par ailleurs, certains expriment le désir, ou revendiquent la liberté de surtout ne pas savoir. Même lorsqu’une famille vient en consultation d’oncogénétique, incitée par une mère, une tante ou une sœur, « il faut passer beau- coup de temps et expliquer, quitte à décevoir. Un test positif n’est pas une bonne nouvelle, mais un test négatif ne donne pas l’assurance de ne jamais avoir un cancer », prévient Olivier Caron, oncogénéticien à Gustave-Roussy.
BRCA : repères
Selon les recommandations, la consultation d’oncogénétique et le dépistage BRCA doivent être proposés aux femmes à qui l’on a diagnostiqué un carcinome de l’ovaire de haut grade, quel que soit leur âge, et aux hommes qui souffrent d’un cancer du sein. Pour les femmes qui souffrent d’un cancer du sein, on propose une consultation lorsqu’elles ont moins de 35 ans, quand le cancer est triple-négatif (non hormono dépendant)ou s’il touche deux seins avant 40 ans, ainsi que lorsque l’histoire familiale y incite (avec plus de trois cas de cancers du sein et des ovaires dans une même branche de parenté, ou deux cas si l’un a été diagnostiqué avant 50 ans).
En chiffres
45430 consultations d’ontogénétique en France en 2015
95% des femmes touchées par le cancer acceptent le test
Personne, banques et assurances notamment, n’a en l’état actuel de la législation française le droit de discriminer celui ou celle qui a une prédisposition génétique à une maladie. aucune assurance santé, assurance emprunteur ou mutuelle n’a le droit de demander de telles informations de santé à ses clients.
Je suis la benjamine de quatre sœur. Ma famille a payé un lourd tribut au cancer : côté maternel, aucune femme n’a dépassé les 50 ans. Depuis que j’étais petite, j’étais persuadée que je ne survivrais pas à la cinquantaine. Du coup, j’ai décidé que je vivrais de ma passion, la danse. Je suis danseuse professionnelle. Ce n’est pas une vie confortable sur le long terme, mais, dans mon esprit, il n’y avait pas de long terme.
Deux de mes aînées ont été touchées par le cancer. elles ont fait le test génétique et il s’est avéré que mes trois sœurs sont porteuses de la mutation du BRCA. Je me suis résolue à subir le dépistage il y a trois ans environ. À reculons. De toute façon, j’étais sûre de porter le fardeau familial. Or… je suis la seule à ne pas porter la mutation. Cela a été un choc inimaginable. Je m’étais construite dans cette conviction de mourir jeune. Bien sûr, j’ai réalisé mon rêve de danser, mais, dans le fond, aurais-je fait les mêmes choix de vie sans le spectre du cancer ? La nouvelle formidable, là-dedans, elle est pour mes enfants. Pour eux, l’histoire s’arrête : je ne leur transmets pas cette pourriture.
« Ce diagnostic fut un choc, plus que le cancer lui-même ! »
Quand on m’a diagnostiqué un cancer du sein, en 1997, je n’avais que 36ans, mais l’histoire familiale élargir le dépistage, oui, mais avançons avec prudence ! Détecter une mutation doit servir le patient, permettre un traitement plus efficace ». C’est déjà le cas pour certains cancers de l’ovaire en rechute ; les porteuses du BRCA répondent à l’olaparib (un inhibiteur de Parp qui fait partie des nouvelles générations de thérapies ciblées.). Cette molécule pourrait obtenir dans les prochaines années son autorisation dans le traitement du cancer du sein métastatique. Une étude présentée au congrès de l’Asco en juin a révélé qu’elle diminue de 42 % le risque de progression de ces cancers du sein agressifs chez les porteuses de la mutation. Les tests permettent également d’adapter au mieux les traitements à la carte d’identité de la tumeur.
On m’a diagnostiqué un cancer du sein en 2012. Comme ce cancer est rare chez les hommes (moins de 1 % ) et souvent dû à une altération génétique (15 %), le dépistage est systématiquement proposé. en 2013, j’ai appris que j’étais porteur d’une mutation BRCA2.
La double ablation, la chimio, la radiothérapie, j’avais bien accepté – je suis moi-même médecin. Mais je me suis découvert porteur d’un risque : je peux subir deux autres localisations de cancer – à la prostate et au pancréas. et n’ai, contrairement aux femmes, aucun geste prophylactique possible. sinon casser les pieds aux médecins pour exiger un protocole de surveillance et une IRM du pancréas par an.