Ce qui frappe d’emblée en ouvrant ce Chœur des femmes version BD, c’est le sens du romanesque de son illustratrice Aude Mermilliod. Les premiers plans se déroulent dans une voiture, garée juste devant l’entrée du CHU de Tourmens (sic). Derrière le volant, une jeune femme, front buté, machoire crispée. Elle finit par sortir du véhicule … Il pleut des cordes. Son parapluie refuse de s’ouvrir. Trempée, la conductrice se présente à l’accueil de l’Unité 77, service de Médecine de la Femme (MLF !) : Jean Atwood, interne en gynécologie. Prononcez Jean comme le jean qu’elle porte, car cette future As de la chirurgie est canadienne par son père.
Elle est là pour un stage de six mois sous la houlette de Franz Karma. Et on imagine déjà que cela ne va pas être une partie de plaisir.
Une quête d’identité
Le scénario de cette adaptation en BD du best seller de Martin Winckler, sorti en 2009, reste fidèle aux marottes de ce médecin-écrivain qui connait le succès depuis son fameux roman La maladie de Sachs en 1998. Il s’agit toujours de transmission de savoirs et d’expériences vécues, de pédagogie sur le corps et la santé des femmes et d’un plaidoyer pour une médecine avant tout respectueuse de la personne.
Mais c’est d’abord un beau roman sur la quête d’identité.
Arrivée avec son look androgyne et la tête remplie de l’orthodoxie de la Faculté, Jean ne comprend pas ce qu’attend d’elle son chef de service. Karma est un généraliste de terrain, qui préfère se dire soignant plutôt que médecin. La différence entre les deux ? Il l’assène d’emblée à Jean : « L’attitude face à la douleur ». Soigner c’est deux choses fondamentales pour lui : tout faire pour ne pas faire mal. Et écouter. Déroutée, sa stagiaire met les pieds dans le plat, ronge son frein, s’agace et ne sait plus trop où elle en est.
Une femme, deux Karma
Si Aude Mermilliod a donné à son héros la barbe, les lunettes rondes et l’air bonhomme de Martin Winkler, le romancier confie avoir mis beaucoup de lui dans le personnage de Jean : « son arrogance, son impatience, son mépris pour ce qu’elle ne connait pas, la certitude que ce qu’elle veut est bon pour la patiente, tout ça je l’ai ressenti et affirmé à la fin de ma formation et au début de mon exercice. Mais au fond j’étais pétrifié de peur à l’idée de faire mal, et de mal faire. » On devine cette même angoisse chez Jean. C’est ce qui nous la rend si attachante. Et puis il y a son secret. Un secret intime, originel dont elle ne sait que faire.
C’est dans le dévoilement des souffrances intérieures de ses personnages que ce roman prend toute sa puissance et son humanité.
Féministe engagée, Aude Mermilliod s’intéresse ici particulièrement aux trajectoires des patientes de l’unité 77 qui mènent – seules – leur combat pour faire avec ce que la vie leur a donné, et qui ne peut être changé. Leur portrait croqué tout en finesse vient ponctuer le parcours de Jean. Elle-même d’ailleurs ne fait pas exception dans cette galerie de portraits cabossés. Car, au côté du Dr Karma qui va bouleverser sa vocation et changer sa façon de penser, elle va aussi devoir défier son propre karma. Rien que ça…
INFO +
Le Chœur des femmes, scénario et dessins de Aude Mermilliod, d’après le roman de Martin Winckler, éditions Le Lombard, 2021. 22,50 euros.
Le blog de Martin Winckler : wincklersblog.blogspot.com
Sandrine Mouchet
*Sur son blog en 2014, au chapitre 21, Martin Winckler décrypte son travail de romancier et donne toutes les clés du Chœur des femmes. Passionnant !