Dire que ma vie n’est pas un long fleuve tranquille est un doux euphémisme ! Il y a quelques années, après ma séparation d’avec mon compagnon, une période de harcèlement moral au travail et un licenciement, je me suis retrouvée seule avec mes deux enfants, âgés à l’époque de trois et sept ans. Cinq mois après mon licenciement, j’apprends que j’ai une tumeur de 4.5 cm sur le col de l’utérus. Chirurgie, chimio, radiothérapie, curiethérapie et me voilà sortie d’affaire pour quelques mois seulement puisque l’on m’annonce ma récidive très rapidement. J’ai passé une année complète allongée dans un lit : trois mois sur le ventre, trois mois sur le dos pour aider la cicatrisation, très difficile après la radiation. Pendant cette année alitée, je me suis mise à écrire des chansons. Pour m’occuper d’abord, puis parce qu’elles plaisaient à mes amis ensuite. Ces chansons m’ont permis d’exprimer ma sensibilité à travers mes péripéties hospitalières.
Mon regard de maman, mon regard sur moi-même en tant que femme et face au miroir des hommes, mon regard face au temps qui passe pendant cette aventure et qui finalement se fige dans le glacier de la maladie où contre toute attente, certains moments sont chaleureux. Hormis le lymphœdème ! Cette maladie, caractérisée par une insuffisance mécanique du système lymphatique, qui provoque un gonflement anormal d’une partie du corps suite à l’accumulation de lymphe dans les tissus, est arrivée comme un cheveu sur la soupe ! Cet élément extérieur signe la plupart du temps le passage du crabe (lymphœdème secondaire).
Avec le recul, je peux raconter aujourd’hui cette jambe capricieuse qui dictait mes tenues, mes sorties, mon quotidien. Ce monstre sournois s’habitue au peu de « traitements » que l’on propose. Les soins réguliers qui doivent être pratiqués par des médecins kinésithérapeutes spécialisés en Drainage Lymphatique Manuel (absents dans certains départements) n’ont pas pour objectif de soigner mais d’alléger la douleur. Ils tentent de soulager les tissus gorgés de liquide lymphatique et essaient de maintenir la vie de ce membre qui se noie et qui meurt progressivement. Comme consolation, on nous conseille d’accepter de vivre avec cette pathologie qui devient le nouvel adversaire, celui qui est arrivé par surprise et qui laisse patients et médecins en suspend.
« Il était inconcevable de me résigner à finir en fauteuil roulant »
Cette jambe qui grossit, se durcit et dégonfle partiellement est sujette à des infections à la moindre coupure ou piqûre d’insecte. Les moustiques n’ont pas peur des bas de contention et se défoulent bien volontiers sur un membre échauffé par la lymphe stagnante ! Résultat, une hospitalisation s’impose d’urgence pour éloigner les risques de septicémie traitée par antibiothérapie en intra-veineuse et qui replonge dans un univers qu’on aimerait laisser derrière. Comme si mes nombreux « stages » dans les hôpitaux n’étaient pas suffisants, il a fallu encore et encore que je me soumette aux protocoles de la chambre aseptisée.
Après un tel combat contre le cancer, il était inconcevable de me résigner à finir en fauteuil roulant comme on me l’avait annoncé alors j’ai tout essayé: des bains de mer en avril à St-Malo jusqu’à la mobilisation de tout mon entourage pour masser ma jambe jusqu’à épuisement. Je me réveillais régulièrement en plein milieu de la nuit, le pied en l’air et les mains qui s’activaient à redessiner mon genou, ma cheville et ma cuisse. Serait-ce là mon nouveau quotidien ? Mon caractère ne le permettrait jamais… Ces moments pénibles et laborieux, je ne les subis heureusement plus depuis que j’ai franchi un pas: celui de l’auto-greffe ganglionnaire.
« Comment serait-il possible qu’il existe une solution et que l’on ne m’en parle pas ? »
En fouillant dans les rares informations, mes recherches m’ont conduite à prendre un rendez-vous de consultation au centre Pompidou à Paris. Afin de recueillir tous les avis des médecins qui me suivaient jusqu’alors, je décide d’enregistrer le déroulement de la consultation avec les moyens du bord (merci iPhone !) mais avec l’accord bienveillant du Dr Corinne Becker, la seule praticienne de cette micro-chirurgie.
Je suis curieuse et toujours sur mes gardes mais aucun autre choix ne se présente à moi et ce n’est que par le biais du témoignage et le soutien d’une des patientes de la chirurgienne que j’ai pris la décision de tenter cette opération. Le choix n’était pas aisé puisqu’il paraissait être « dangereux » de faire pratiquer ce prélèvement de greffon ganglionnaire dans une niche saine (on prenait alors le risque de « déséquilibrer » un autre membre et de provoquer un autre lymphœdème). Mais les risques de ces chirurgies sont quasi-nulles et les années d’expérience nous montrent un recul de résultats positifs. Alors j’ai dit banco ! Dès la sortie du bloc opératoire, le changement à été immédiat, ma jambe était transformée ! L’aspect de la peau plus souple ne faisait aucun doute sur la réussite de l’intervention et j’ai été surprise de sentir de nouveau les sensations du toucher sur ma peau redevenue vivante. Les séances de drainage chez les kinésithérapeutes et en cure plus intensive dans les centres de lymphologie sont venues stimuler le greffon qui va progressivement tisser son réseau lymphatique jusqu’à diminution conséquente du membre. Une deuxième greffe peut-être nécessaire afin d’élargir le champs d’action sur le membre entier. J’ai bénéficié d’une troisième intervention en janvier dernier et nous attendons le 13 juin prochain pour les finitions de réparations. En attendant, l’évolution est là, c’est une évidence et je suis confiante quant au fait que je vais enfin gagner mon pari de guérison contre cet handicap parfois peu visible mais tellement difficile à vivre !
Alexandra
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