Difficulté à retrouver sa place dans la société, à reprendre un poste au sein d’une entreprise, à faire des projets… La dépression post-cancer impacte fortement la qualité de vie des personnes qui en souffrent, majoritairement des femmes.
Le Dr Antonio Di Meglio, oncologue médical à Gustave Roussy et chercheur au sein de l’équipe « Après cancer », s’est penché sur les facteurs associés à la persistance à long terme de symptômes dépressifs. Pour cela, il a analysé leur évolution du diagnostic, jusqu’à 6 ans après les traitements, chez plus de 9 000 femmes touchées par un cancer du sein à un stade précoce.
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Pourquoi vous être intéressé aux femmes touchées par un cancer du sein à un stade précoce ?
Dr Di Meglio : Tout d’abord parce que c’est le cancer le plus fréquent chez les femmes et que les chances de guérison sont élevées lorsqu’il est diagnostiqué précocement. Il est donc important de se préoccuper de leur qualité de vie, pendant et après la maladie.
Mais aussi parce que, grâce à la cohorte CANTO (voir encadré, ndlr), nous avons une évaluation de leurs symptômes au cours du temps, notamment dépressifs.
Comment évaluez-vous les symptômes dépressifs ?
Les femmes répondent à des questionnaires pour auto-évaluer leurs sentiments concernant le fait de profiter de la vie, leurs perspectives futures… Il ne s’agit pas d’un vrai diagnostic mais cela nous donne une indication sur l’état psychologique de la patiente.
Qu’avez-vous observé ?
Nous avons identifié 4 trajectoires de dépression.
Certaines femmes ne présenteront jamais de symptômes dépressifs, que ce soit avant, pendant ou après les traitements. C’est la majorité des cas : 68%.
D’autres en présentent au moment du diagnostic et, soit ils persistent, dans 7% des cas ; soit ils diminuent, dans 7% des cas également.
Enfin, dans environ 20% des cas, soit chez une femme sur 5, les symptômes apparaissent après le diagnostic et s’aggravent pendant la phase de traitements. On a observé notamment un pic environ 3 à 6 mois après les traitements primaires, comme la chirurgie, la chimiothérapie ou la radiothérapie. Ces symptômes peuvent persister jusqu’à au moins 6 ans après le diagnostic.
Avez-vous identifié des points communs entre ces femmes ?
Nous avons trouvé que les femmes les plus à risque de développer des symptômes dépressifs après leur cancer sont les femmes plus âgées, celles qui ont un indice de masse corporelle élevé – indicateur d’un surpoids ou d’une obésité – ou un niveau socio-économique faible.
C’est également le cas des femmes avec des antécédents de troubles psychiatriques ou qui, au moment du diagnostic, font état de fatigue, d’anxiété, d’insomnies, de troubles cognitifs ou de troubles de l’image corporelle.
Quels enseignements peut-on tirer de cette étude pour améliorer la prise en charge de ces patientes ?
Notre étude démontre que, dès le moment du diagnostic, il est important de ne pas négliger des symptômes dépressifs et de ne pas se focaliser uniquement sur les traitements. On pourra ainsi détecter précocement les femmes plus à risque de développer une dépression et leur proposer des interventions personnalisées et adaptées.
Comme quoi par exemple ?
Il peut s’agir d’interventions axées sur l’amélioration de l’hygiène de vie : éviter la prise de poids, augmenter l’activité physique, …
Il peut s’agir également de soutien psychologique. Notre étude a permis de caractériser différents domaines de vie sur lesquels le cancer a des répercussions : les relations personnelles, la vie professionnelle, … On pourrait donc mettre en place des évaluations psychologiques plus détaillées afin d’adapter le travail psy sur les domaines qui sont davantage impactés.
Notre étude, qui est uniquement observationnelle, ne démontre pas qu’en agissant sur ces facteurs on sera en mesure de réduire les risques de développer des symptômes dépressifs, mais cela donne des pistes pour tester des interventions susceptibles de changer la trajectoire de dépression.
LA COHORTE CANTO
La cohorte CANTO est une cohorte dite prospective qui suit le devenir de 12 000 femmes atteintes d’un cancer du sein localisé, prises en charge dans 10 centres de lutte contre le cancer. Elle a pour objectif de décrire les toxicités et séquelles associées aux traitements, d’identifier les populations susceptibles de les développer et d’adapter la prise en charge en conséquence pour garantir une meilleure qualité de vie dans l’après-cancer.
Pour en savoir plus : Etude Canto