Ces dernières années, la cancérologie a connu des avancées majeures notamment grâce à l’arrivée de l’immunothérapie : ces traitements qui aident notre système immunitaire à reconnaître et à détruire les cellule tumorales. Malheureusement, celle-ci reste encore inefficace dans de nombreux cancers et tous les patients n’y répondent pas. Pourquoi ? La réponse pourrait bien se trouver au coeur de notre ADN, à un niveau épigénétique.
L’ADN, une pelote de laine
On le sait, l’expression de nos gènes peut être modifiée par des mutations qui touchent directement leur séquence (la fameuse suite de A, G, T et C). Ce que l’on sait moins, c’est qu’elle peut aussi être modifiée par l’épigénétique.
Pour faire simple, il faut imaginer notre ADN comme un fil de laine. Quand il est enroulé comme une pelote, les gènes ne peuvent pas s’exprimer. Quand le fil est déroulé, les gènes s’expriment. Cette compaction ou décompaction de l’ADN est régulée par l’épigénétique.
Contrer la résistance à l’immunothérapie
Le lien avec le cancer ? « Des études précliniques ont montré que l’épigénétique joue un rôle majeur dans la résistance des cellules tumorales à l’immunothérapie » explique le Dr Maud Kamal, responsable de la cellule de coordination scientifique du département des essais cliniques précoces (D3i) de l’institut Curie. Des médicaments capables de modifier l’épigénétique, aussi appelés épimédicaments, sont d’ailleurs déjà utilisés dans le traitement de certains lymphomes cutanés.
Partant de ces observations, le Pr Christophe Le Tourneau, chef du département D3i et oncologue médical, a eu l’idée d’une association inédite : combiner une immunothérapie, le pembrolizumab, à un épimédicament, le vorinostat.
Un essai basket dans les cancers épidermoïdes
L’oncologue et son équipe ont ainsi traités 112 patients en récidive d’un cancer dans l’étude PEVO. Dans cet essai clinique de phase 2 dit « basket »1, les patients inclus étaient touchés par des cancers qui différaient par leur localisation (cancers ORL, du col de l’utérus, de la vulve, du pénis, de l’anus ou encore du poumon) mais présentaient le même type histologique, à savoir des carcinomes épidermoïdes2. « Nous avons choisi les cancers épidermoïdes car ils partagent des caractéristiques moléculaires et épigénétiques similaires et ce, indépendamment de la localisation, justifiant une stratégie thérapeutique commune » précise le Dr Kamal.
Des résultats encourageants à confirmer
Les résultats ont été présentés cette année à Chicago lors du congrès international d’oncologue de l’ASCO. Ils sont prometteurs puisque les taux de réponses obtenus oscillent entre 31 et 39%. « Nos résultats révèlent une activité antitumorale tout à fait encourageante, en particulier dans le cancer du canal anal et le cancer du col de l’utérus » confirme le Pr Le Tourneau dans un communiqué de presse de l’institut Curie.
Une approche agnostique
« Ce qui est intéressant avec cette approche, c’est que nous avons obtenu des résultats chez des patients ayant un cancer épidermoïde indépendamment de la localisation de leur cancer » ajoute le Dr Kamal.
Cette association doit encore être testée dans un essai randomisé pour le comparer aux traitements standards avant de prouver son intérêt clinique. Mais cet essai confirme deux tendances prometteuses en oncologie. D’une part, l’approche thérapeutique dite agnostique, c’est-à-dire qui ne tient pas compte de l’organe dans lequel le cancer s’est développé à l’origine, mais plutôt des profils (épi)génétiques des patients. D’autre part, la dimension épigénétique du cancer.
Emilie Groyer
1. Les essais “basket” consistent à mettre dans le même panier (basket en Anglais) des patients présentant un même marqueur (une mutation rare par exemple) et de les traiter avec un médicament ciblant ce marqueur, indifféremment de la localisation de leur cancer.
2. Cancer qui se développent à partir des cellules de l’épithélium.