Vous présentez à l’ASCO les résultats d’une étude dans laquelle vous avez injecté des nanoparticules dans des tumeurs de la gorge. A quoi servent ces nanoparticules et en quoi sont-elles faites ?
Nous avons utilisé des nanoparticules développées par la start-up Nanobiotix. Elles sont en hafnium, un métal naturel. Elles permettent d’augmenter l’effet de la radiothérapie : nous avons montré que la dose de rayons délivrée localement est ainsi multipliée par 9 au niveau cellulaire et par environ 1,5 au niveau tissulaire.
Que deviennent les nanoparticules ?
Elles sont inertes. Elles restent au point d’injection mais nous n’avons pas relevé de toxicité particulière.
Ces nanoparticules avaient déjà été utilisées auparavant ?
Oui, dans le sarcome des membres. Dans ce cancer, le traitement standard est de faire de la radiothérapie pour réduire la taille de la tumeur avant la chirurgie. Sylvie Bonvalot, chirurgienne à l’Institut Curie, a réalisé un essai dans lequel la moitié des patients recevaient une injection de nanoparticules, l’autre non. Les résultats ont montré que, dans le groupe traité avec les nanoparticules, 2 fois plus de patients n’avaient plus de trace de cellules tumorales au moment de la chirurgie.
Votre étude a porté sur les cancers de la gorge. Pourquoi ce choix ?
D’abord, parce que c’est un cancer facile d’accès pour l’injection et qui est souvent traité par radiothérapie.
Maintenant, les cancers de la gorge se traitent habituellement par une radiothérapie associée à une chimiothérapie. Mais ce traitement est très lourd et certaines personnes ne supportent pas cette combinaison, soit parce qu’elles sont trop âgées, soit parce qu’elles ont des contre-indications à la chimiothérapie : problèmes rénaux, cardiaques… Elles sont alors traitées uniquement par radiothérapie. Nous pensions donc que les nanoparticules pourraient potentialiser les effets de la radiothérapie pour ces patients qui ne peuvent recevoir un traitement optimal.
En quoi a consisté le protocole de traitement ?
Les chirurgiens ont injecté sous anesthésie générale les nanoparticules directement dans la tumeur, la veille de la première séance de radiothérapie. Le protocole s’est poursuivi ensuite de façon classique : 35 séances sur 7 semaines, 5 jours sur 7.
Quels résultats avez-vous obtenu ?
Nous avons traité 13 patients depuis 4 ans. Pour 9 d’entre eux, la tumeur a totalement disparue. Avec la radiothérapie seule, habituellement, on a une réponse complète dans moins de la moitié des cas. C’est donc très prometteur même si nous devons confirmer ces résultats avec plus de patients.
Quelle est la prochaine étape ?
Dans cette étude, notre but premier était de déterminer la dose optimale de nanoparticules à injecter. Certains patients ont donc reçu 5%, d’autres 10, 15 ou 22 % du volume de leur tumeur. On sait à présent que la meilleure réponse est obtenue avec la dose de 22 %.
La prochaine étape est donc de réaliser un essai dans lequel tous les patients seront traités avec cette dose optimale. L’essai inclura également davantage de patients et sera comparatif, c’est-à-dire que nous allons constituer 2 groupes : le premier recevra une injection de nanoparticules et le second n’en recevra pas. On pourra ainsi vérifier que le résultat observé est bien dû aux nanoparticules et pas au fait que les 13 patients que nous avons traité jusque-là étaient de meilleur pronostic.
Dans un premier temps, l’étude portera sur des malades qui ne sont pas éligibles à la chimiothérapie mais nous inclurons par la suite les autres malades dans un autre essai. Et nous regarderons si les injections de nanoparticules ont un impact sur le risque de récidive.
Peut-on espérer réduire le nombre de séance de radiothérapie ?
A terme, on pourrait imaginer que ce soit le cas mais on est très prudent avec la désescalade thérapeutique. Nous ne voulons pas faire perdre de chances aux patients. On sait que la moitié des patients touchés par un cancer ORL et traités par radiothérapie vont récidiver. On préfèrerait utiliser la même dose de radiothérapie et obtenir que davantage de patients ne rechutent pas.
Est-ce transposable dans d’autres cancers ?
Oui. Les nanoparticules sont d’ailleurs actuellement évaluées dans plusieurs autres cancers : le rectum et le foie notamment. On peut imaginer que l’effet est valable pour tous les cancers.
Propos recueillis par Emilie Groyer