CE QU’IL FAUT RETENIR :
- Le traitement Trastuzumab déruxtécan (ou Enhertu) conjugue une chimiothérapie (le Deruxtecan) à un anticorps (le Trastuzumab). Le but étant d’acheminer la chimiothérapie directement dans les cellules cancéreuses qui expriment le HER2.
- Ce traitement permet de cibler les tumeurs qui expriment même faiblement le HER2 (HER2low).
- Ce traitement permet d’augmenter la survie des femmes atteintes d’un cancer du sein métastatique HER2low ayant déjà reçu 1 ou 2 chimiothérapie.
- Ces résultats remettent en cause la classification des cancers du sein. Ils mettent en évidence une sous-population, parmi les cancers triples négatifs et les cancers hormonodépendants, qui exprime faiblement le HER2.
- Ce traitement pourrait être proposé aux femmes atteintes d’un cancer considéré jusque-là comme négatif pour le HER2 si leur tumeur exprime un peu le HER2.
Cette année, la présentation de l’étude DESTINY-Breast04 au congrès international de cancérologie de l’ASCO a été saluée par une standing ovation. Une enthousiasme justifié : ces résultats vont profondément changer la prise en charge des femmes atteintes d’un cancer du sein. Ils remettent également en question la classification même de cette pathologie plurielle. Le Pr Saghatchian, oncologue spécialiste du cancer du sein à l’hôpital américain de Paris, nous explique en quoi cette annonce est révolutionnaire.
Pouvez-vous nous présenter l’étude DESTINY-Breast04 qui a galvanisé les oncologues lors du dernier congrès de l’ASCO ?
Pr Mahasti Saghatchian : Il s’agit d’une étude de phase III qui compare l’efficacité des chimiothérapies standards au Trastuzumab déruxtécan – ou Enhertu – chez des patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique et ayant déjà reçu une ou deux lignes de chimiothérapie. Ce traitement conjugue une chimiothérapie, le Deruxtecan, à un anticorps, le Trastuzumab. Le but étant d’acheminer la chimiothérapie directement dans les cellules cancéreuses qui expriment le HER2.
Quelle est la particularité de cette étude ?
Habituellement, ce traitement est indiqué pour les cancers du sein dit « HER2+ », c’est-à-dire qui surexpriment le marqueur HER2. Mais dans cette étude, il a été administré à des patientes exprimant faiblement le HER2. On parle de HER2low : faible en Anglais.
Quels sont les résultats ?
Le traitement par Trastuzumab déruxtécan a permis d’augmenter la survie globale des patientes de 6,6 mois. La survie sans progression, c’est-à-dire sans aggravation de la maladie ou rechute, a également été améliorée de 4,8 mois. C’est considérable. C’est rare d’avoir de tels résultats dans des situations de cancer métastatique avancé. Historiquement, peu de chimiothérapies ont montré un tel gain en 2ème ou 3ème ligne.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que ce traitement est efficace que la tumeur exprime ou non les récepteurs aux hormones sexuelles.
« C’est une vraie rupture dans l’histoire du cancer du sein »
En quoi est-ce un changement majeur ?
Il faut savoir que les cancers du sein sont classés en 3 sous-catégories : les cancers HER2+ qui surexpriment ce marqueur, les cancers hormonodépendants dits « RH+ » qui expriment les récepteurs aux hormones sexuelles (oestrogènes et progestérones) et les cancers triple négatifs qui n’expriment aucun de ces marqueurs.
Jusqu’à présent les thérapies ciblant le HER2, comme l’Herceptin, le Perjeta ou le Kadcyla, n’étaient efficaces que sur les tumeurs surexprimant ce marqueur. Faute de traitement, on considérait donc les patientes avec une tumeur HER2low comme des patientes avec une tumeur négative pour le HER2. On les classait dans les 2 autres sous-types de cancer du sein : soit dans les cancers hormonodépendants si leur tumeur exprimait les récepteurs aux hormones sexuelles, soit dans les cancers triples négatifs si elle ne l’exprimait pas.
Maintenant que nous avons un traitement pour les cancers HER2low, cela nous oblige à reconsidérer la classification des cancers du sein. Nous avons 2 nouvelles sous-catégories : les cancers triples négatifs HER2low et les cancers hormonodépendants HER2low.
C’est une vraie rupture dans l’histoire du cancer du sein.
En quoi cela va changer la prise en charge des patientes ?
Cela signifie que nous avons un nouveau traitement pour les patientes souffrant d’un cancer triple négatif ou d’un cancer hormonodépendant qui exprime un peu le HER2. C’est révolutionnaire !
Est-ce que cela va également impacter vos pratiques ?
Tout à fait. Les anatomopathologistes, qui analysent les biopsies et classifient les tumeurs, indiquent actuellement l’expression de HER2 selon une graduation : entre 0 et +3. Entre 0 et +1, ils considéraient jusqu’à présent que la tumeur était négative pour le HER2. Maintenant que nous savons que nous pouvons cibler des tumeurs qui expriment même faiblement le HER2, il va nous falloir retourner dans les dossiers des patientes classées HER2- pour vérifier si leur tumeur expriment un peu le HER2.
Cela va nous inciter aussi à davantage biopsier nos patients au stade métastatique. On sait en effet que l’expression de HER2 varie selon le stade de la maladie. Il peut arriver par exemple qu’une patiente qui était HER2- au stade localisé, se mette à exprimer ce marqueur au stade métastatique. Il sera important de le vérifier en faisant de nouvelles biopsies pour déterminer si elle peut bénéficier du traitement.
Les patientes éligibles peuvent-elles bénéficier dès maintenant de ce traitement ?
Malheureusement non. Il n’y a plus d’essais cliniques dans lesquels on pourrait les inclure. Il va donc falloir attendre que le laboratoire obtienne un accès précoce auprès des autorités de santé pour qu’elles y aient accès. On a bon espoir que cela arrive dans les prochains mois car ce même traitement a récemment bénéficié rapidement d’un accès précoce dans une autre indication – celle des cancers du sein HER2+ – suite à de très bons résultats.
Propos recueillis par Emilie Groyer