CE QU’IL FAUT RETENIR
– Entre 5 à 10% des personnes atteintes d’un cancer du rectum présentent une anomalie génomique appelée instabilité des microsatellites (IM).
– Cette IM rend les patients plus sensibles à l’immunothérapie.
– Dans un essai clinique testant l’efficacité du dorstarlimab (une immunothérapie) dans le cancer du rectum localement avancé, tous les patients traités présentant une IM ont pu éviter la chirurgie et sont en rémission.
– Nous manquons encore de recul pour affirmer que le dorstarlimab guérit tous les patients présentant une IM.
– Pour le moment ce traitement n’a pas obtenu d’accès précoce dans l’indication du cancer du rectum.
Chaque année, le congrès international de cancérologie de l’ASCO est le théâtre d’annonces importantes dans la lutte contre le cancer. En 2022, une étude aura particulièrement marqué les esprits. Elle concerne le cancer du rectum localement avancé. Une équipe américaine a en effet obtenu la rémission complète de tous les patients traités par une immunothérapie, le dostarlimab. Des résultats sans précédents, repris dans tous les médias nationaux, que nous décryptent les Dr Bruno Buecher, gastro-entérologue et oncogénéticien et Pauline Vaflard, oncologue médicale, à l’Institut Curie.
Tout d’abord, pouvez-vous nous expliquer quelle est la problématique de la prise en charge des cancers du rectum ?
Dr Bruno Buecher : Actuellement, le cancer du rectum est traité par une radio-chimiothérapie suivie d’une chirurgie. Cette opération n’est pas anodine car, en fonction de la position de la tumeur, pour les cancers du bas rectum notamment, elle peut conduire à une amputation abdomino-périnéale1 et une colostomie définitive2. Ces chirurgies s’accompagnent de séquelles digestives non négligeables et ont un impact important sur la qualité de vie des patients. C’est pourquoi les dernières avancées ont cherché à optimiser le traitement néoadjuvant3 de façon à pouvoir se laisser la chance de préserver l’organe et de renoncer à la chirurgie en cas de réponse complète à ce traitement.
En quoi consistait l’étude présentée à l’ASCO ?
Dr Bruno Buecher : Dans cette étude de phase II, les auteurs ont justement testé l’efficacité d’une immunothérapie, le dostarlimab, en néoadjuvant, chez des patients avec un cancer du rectum localement avancé présentant une instabilité des microsatellites.
Il était administré par perfusion toutes les 3 semaines pendant 6 mois. Au bout de 6 mois, on évaluait la réponse au traitement, c’est-à-dire la présence ou non d’une tumeur résiduelle. Si la réponse était complète, c’est-à-dire si la tumeur avait totalement disparu, les patients étaient placés sous surveillance. Si la réponse n’était pas complète, les patients recevaient une radio-chimiothérapie. Là encore, on évaluait la réponse au traitement. Si elle n’était pas complète, on allait vers la chirurgie. Le but était donc d’éviter la chirurgie au maximum.
INFO + : Pour en savoir plus sur l’instabilité microsatellitaire, lisez notre article « Cancer colorectal : l’instabilité du génome comme nouvel arme »
Quels sont les résultats ?
Dr Bruno Buecher : Tous les patients qui ont reçu la totalité du traitement – 12 sur les 30 inclus dans l’étude – sont en rémission totale à l’issue du seul traitement par dorstarlimab, sans recours à la radio-chimiothérapie ni à la chirurgie. C’est extraordinaire. Ces résultats ont d’ailleurs fait l’objet d’une publication, le jour même de leur annonce, dans la prestigieuse revue New England Journal of Medicine.
« Ce sont des résultats précoces mais ils sont tellement incroyables qu’on ne peut pas ne pas en parler. »
Y a-t-il un bémol à apporter à ces résultats spectaculaires ?
Dr Bruno Buecher : On a encore peu de recul : la durée médiane de suivi à l’issue du traitement est de 6,8 mois. Et il est variable selon les patients puisqu’ils n’ont pas été inclus dans l’étude au même moment. Le patient pour lequel il y a le plus de recul a terminé son traitement il y a 2 ans et il n’y a toujours aucune trace de cancer dans son organisme. Deux autres patients sont à 20 mois de suivi et sont aussi toujours en rémission complète. Pour d’autres patients, le recul est seulement de quelques mois. Il est donc difficile de savoir si la réponse va se maintenir.
Dans la presse, on peut lire des titres tapageurs comme “un traitement guérit 100% des patients atteints d’un cancer colorectal”. Est-ce correct de le formuler ainsi ?
Dr Bruno Buecher : Pas tout à fait. On est sur une population très particulière de patients qui présentent une instabilité des microsatellites. Cela concerne moins de 10% des patients, probablement autour de 5%. Par ailleurs, on ne peut pas dire si ces patients sont effectivement guéris puisqu’on n’a pas suffisamment de recul.
Dr Pauline Vaflard : Il est important de souligner que ces patients sont sous surveillance étroite pour dépister précocément une reprise évolutive locale. D’autres questions restent encore en suspens : Est-ce que l’immunothérapie fonctionnera à nouveau chez ces patients si le cancer réapparait ? Est-ce qu’on devra avoir recours à la chimiothérapie ? Est-ce que la récidive, parce qu’ils n’ont pas été opérés, risque d’être sous forme métastatique ? On aura les réponses à toutes ces questions seulement quand on aura plus de recul.
Peut-on toutefois rester optimistes ?
Dr Bruno Buecher : Oui, ce sont des résultats précoces mais ils sont tellement incroyables qu’on ne peut pas ne pas en parler. D’autant plus qu’ils sont en cohérence avec d’autres données très favorables notamment dans les cancers du colon métastatiques et localisés ou les cancers oeso-gastriques ayant cette même caractéristique moléculaire d’instabilité des microsatellites .
Ce traitement va-t-il devenir un standard pour les patients présentant une instabilité des microsatellites ?
Dr Pauline Vaflard : Pour l’instant, ce traitement n’a pas obtenu d’autorisation de mise sur le marché ou d’accès précoce dans cette indication en France. La priorité pour les patients présentant une instabilité des microsatellites tumorale, même si leur cancer est localisé, c’est de se renseigner sur les essais cliniques qui sont ouverts pour qu’ils aient accès à l’immunothérapie par ce biais.
Propos recueillis par Emilie Groyer
1. Ablation d’une partie du colon, du rectum et de l’anus.
2. Abouchement du côlon à la peau pour permettre l’évacuation des selles et des gaz vers une poche spéciale située à l’extérieur du corps.
3. Traitement qui précède la chirurgie.