« Trouver quelqu’un, pouvoir me sentir femme, sortir dîner, être câlinée… », Elsa l’avoue tout net : « J’en rêverais ! » Mais son cri du cœur bute sur une réelle angoisse. À 29 ans, cette célibataire, maman d’un petit garçon de 5 ans, et diagnostiquée en mai dernier d’un cancer du col de l’utérus, se voit mal expliquer « en plein rencard : “Alors, voilà, j’ai un cancer en récidive, je vais bientôt perdre mes cheveux, je suis stérile et ne peux avoir de rapports sexuels, parce que mon vagin a été lésé par les derniers traitements.” Ce cancer m’empêche de m’épanouir affectivement et de me sentir femme aux yeux d’un homme. » Mais il n’empêche ni les coups de cœur, ni de rêver d’âme sœur… « Heureusement ! » s’exclame Catherine Adler-Tal, psycho-onco-sexologue à l’association Étincelle et à l’institut Raphaël, en région parisienne. Si les traitements anéantissent toute libido chez beaucoup de femmes, d’autres « la vivent au contraire comme un pied de nez à la maladie ».
Le silence ne mène à rien
Gwenola est de celles-là. Passé le choc d’apprendre son cancer du sein à traiter en urgence le jour de ses 47 ans, son envie de vivre a vite repris le dessus. Quand, un mois après le début du traitement, un ancien amant l’a contactée, elle lui a tout déballé d’un coup : « la maladie, mais aussi que je voulais m’envoyer en l’air. Alors on s’est vus, moi ma perruque sur la tête et lui interrogatif. Il m’a montré que ça ne changeait rien. Vis-à-vis des hommes, je suis restée une femme, pas une malade », se réjouit-elle. « Même en pleine chimiothérapie, certaines vivent un élan qu’elles n’imaginaient pas », confirme la sexologue Justine Henrion, qui anime des « apéros sexo » à la Maison Rose de Paris* et au centre S’Time, à Amiens. Mais transformer cet élan en réalité est une autre histoire, et Elsa n’est pas la seule à rester sur la touche. Pour se sentir désirable, il faut d’abord se réconcilier avec sa propre peau. « Le corps, ayant subi des chirurgies et des traitements lourds, n’est plus très sexy, avouons-le », lâche Virginie, 53 ans, refroidie par un divorcé qui l’a « gentiment envoyée bouler » après l’avoir longuement draguée. « Restaurer l’estime de soi, faire prendre conscience que le corps-douleur peut à nouveau se transformer en corps-plaisir, c’est tout notre travail », explique Catherine Adler-Tal. Justine Henrion estime que ce moment « peut être paradoxalement une chance, un temps zéro où l’on remet ses attentes à plat lorsque l’on est célibataire ». Bien sûr, cela suppose de trouver l’espace où en parler. Or ils sont rares. Au cours de son parcours, Virginie ne s’est jamais vu proposer d’aborder « la question de la séduction postcancer avec qui que ce soit ». Car, même si l’on est disposée à se laisser de nouveau aller au jeu de l’amour et du hasard et qu’un partenaire est – a priori – accroché, comment gérer ? Afficher son cancer en bandoulière ? Ne rien en dire ?
« Le bon moment pour le dire n’existe pas »
Si c’est une rencontre d’un soir, après un cancer du sein, on peut bien sûr tricher en gardant son caraco et considérer, comme cette femme dont Catherine Adler-Tal se souvient amusée, « qu’une fois chaud, monsieur se fiche du haut, du moment qu’on enlève le bas ». Mais, généralement, les femmes qui témoignent, comme les sexologues, s’accordent sur un point : pas question de taire sa maladie. « Ce serait dommage : elle fait aussi partie de leur histoire, et les femmes passées par le cancer ont en elles une force incroyable », souligne Justine Henrion. « Lorsque l’on fait connaissance, on se raconte, on peut le dire. Et si l’on cherche une relation solide, il n’est jamais bon de la construire sur un non-dit, appuie Catherine Adler-Tal. Il n’y a pas de honte à avoir ou avoir eu un cancer, ni à vouloir une sexualité correcte. C’est un événement suffisamment important pour en parler suffisamment tôt. »
« Certains hommes fuient par peur, d’autres par manque de maturité ou encore parce que cela les renvoie à des souvenirs douloureux. »
Peut-être pas le premier soir, mais viendra un moment où il faudra bien l’évoquer. « Impossible de cacher un cancer du sein dans l’intimité. La question n’est pas tant de le dire ou pas, mais plutôt quand ; et le bon moment n’existe pas », estime Agathe. La quadragénaire a pris la fuite un soir, raccompagnée par un homme avec qui elle aurait bien passé la nuit. « J’ai paniqué, se souvient-elle. Je ne dis pas que ça l’aurait forcément dérangé. Juste, je n’avais pas envie de parler de mon cancer alors qu’il n’était question que de désir et de séduction. Ça aurait mis de la lourdeur dans quelque chose de léger, et moi j’avais seulement envie de légèreté. » Délicat à aborder en pleine fougue, convient Justine Henrion, mais « j’imagine mal la mise à nu devant un homme qui n’y serait pas préparé. Sa surprise, son regard pourraient renvoyer quelque chose de très violent ». Évidemment, cela peut avoir valeur de test : « S’il s’enfuit en courant, c’est que ce n’était pas le bon. C’est une façon de faire le tri… Mais difficile à assumer, car cela renforce chaque fois la blessure narcissique, sur un terrain déjà fragilisé par le cancer », prévient Catherine Adler-Tal.
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Tout est dans le regard…
Le problème, c’est que pour le dire il n’existe pas de recette universelle non plus. Humour ou sérieux ? À chacune sa façon, en fonction aussi de la relation. Y aller « au feeling », encourage la psycho-onco-sexologue, « l’essentiel est de se respecter mutuellement, de ne pas violenter le rythme et les désirs de chacun ». La réaction du partenaire dépend, elle aussi, de son histoire. « Certains hommes sont phobiques et fuient au seul mot cancer, comme si c’était contagieux. Certains, c’est par manque de maturité. Jeune, on peut ne pas avoir envie de démarrer sa vie affective avec quelque chose de lourd, sans pour autant être une ordure », sourit Catherine Adler-Tal.
« Un corps-douleur peut redevenir un corps-plaisir » C. Adler-Tal, onco-sexologue
Il y a aussi ceux que cela renvoie à des souvenirs (une mère ou une ex-compagne malade) qu’ils n’ont pas envie de revivre. Et il y a heureusement tous les autres, qui ne voient que la rencontre. Quand Gwenola est retournée danser au Nouvel An, après sa mastectomie, et qu’elle a cédé à un nouvel amant, le prévenant qu’elle n’avait qu’un sein, « il a eu la réaction que tous ont eue : “Ah, OK, on s’en fiche, non ! ?” ». Marion n’oubliera jamais Isaac, rencontré la veille de ses 30 ans alors qu’elle avait deux centimètres de cheveux sur la tête, après un an de traitements. Bienveillant et doux, « il m’a mise en confiance, et j’ai pu lui montrer mes cicatrices. Il a regardé très attentivement pour bien comprendre, témoigné beaucoup d’admiration et fait très attention, comme s’il touchait la peau d’un bébé ». Même si leur relation n’a, « pour d’autres raisons », duré que six mois, « je lui dois beaucoup. Il m’a permis de faire la paix avec mon sein, de me réconcilier avec mon corps, et il m’a redonné à la fois le rêve et l’espoir de rencontrer la bonne personne ».
« Mon homme ne se pose pas de questions existentielles« , Margault 29 ans
L’histoire de Margault est la preuve que la rencontre et l’amour sont toujours possibles. Même quand le corps est malade et parsemé de cicatrices, même quand l’âme souffre d’une profonde incertitude du lendemain. Lorsqu’elle a croisé son amoureux, il avait 28 ans ; elle, 25. « C’était au travail. Je venais de commencer. Trois mois après, on me diagnostiquait un cancer du côlon. »
Intervention, première ligne de chimiothérapie : « Pendant les six mois de ce premier arrêt de travail, on est restés en contact. C’est à mon retour, en mi-temps thérapeutique, qu’on a commencé à se fréquenter. On a échangé le premier bisou au bout d’un mois… J’étais censée être guérie. » Mais le crabe en a voulu autrement, progressant au stade métastatique, diagnostiqué huit mois plus tard.
Quatre ans après, l’amoureux est toujours là et bien là. « Je me suis longtemps posé la question de ce que je devais lui dire. Je voulais qu’il sache que j’avais au-dessus de ma tête cette épée de Damoclès qui empêche de se projeter. À la deuxième opération, on m’a enlevé l’utérus et les ovaires. Je n’aurai donc jamais d’enfant. On m’a aussi donné six ans à vivre, il devrait donc ne m’en rester que deux. J’ai beaucoup discuté avec ma psy, pour savoir comment en parler. » L’amoureux sait. Rien de ce que Margault a traversé, avec ou sans cheveux, ni de ce qu’elle lui a dit ne l’a éloigné, « et sa manière à lui, c’est de vivre avec moi et avec ça sans se projeter. Il préfère ne pas y penser. Avec moi, il n’a pourtant pas choisi la solution de facilité. De l’extérieur, ça ne se voit pas. Je suis restée dynamique, j’ai beaucoup d’activités, même moi je ne me sens pas malade ».
Mais, dans l’intimité, c’est une autre histoire : « J’ai de grosses cicatrices partout, plus de nombril. J’ai eu une poche de stomie pendant trois mois, j’ai parfois des accidents d’incontinence. Régulièrement, je suis sous nutrition parentérale*, et il supporte le bruit de la pompe. Toujours très humain, il vit la maladie avec moi, m’épaule. Sans questions existentielles, toujours optimiste pour moi, il me donne énormément de force. Pour subir tout ce qu’il subit… c’est l’homme de ma vie. »
* [La nutrition se fait par perfusion. Le processus peut durer jusqu’à douze heures, NDLR]
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 18, p. 34)