Dans votre cursus de médecine, vous a-t-on appris comment annoncer le diagnostic d’un cancer ?
Dr Muriel Hirsch : En 2006, l’année où j’ai terminé mon internat, on ne l’enseignait pas. Les sciences humaines étaient d’ailleurs à peine au programme de nos études de médecine. Aujourd’hui, préparer un étudiant à cette épreuve me paraît essentiel mais, au regard de mon expérience, je pense que la simple théorie ne suffit pas à affronter ce moment crucial qu’est l’annonce d’une mauvaise nouvelle. Ce sont des moments à vivre.
Dr Mauricette Michallet : Dans les années 70, celles pendant lesquelles j’ai effectué mon internat, nous n’abordions pas cette question de la relation au patient. A l’époque, l’approche scientifique prenait largement le pas sur l’approche humaniste. Pourtant, dans ma spécialité, l’hématologie, nous sommes confrontés à des pathologies très graves, au pronostic souvent défavorable. Savoir dire est donc essentiel. Rétrospectivement, ce manque de formation théorique a été très douloureux pour moi. Je milite aujourd’hui pour que les jeunes médecins puissent être tutorés par un senior et aidé à affronter des moments difficiles tels que l’annonce d’un mauvais diagnostic, d’un protocole contraignant, d’une récidive, voire pire…
Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez dû annoncer un cancer ?
M.H. : Il me semble qu’il s’agissait d’une dame à qui je devais donner les résultats d’un prélèvement d’une boule suspecte au niveau de son sein. Ma secrétaire l’avait appelée pour lui dire « que je souhaitais la voir ». Je l’avais fait venir en fin d’après-midi, après mes consultations, afin d’être totalement disponible. Je me souviens lui avoir dit ceci : « Si je vous ai fait venir, c’est que j’ai quelque chose d’important à vous dire. J’ai reçu le résultat de votre biopsie, il n’est pas bon ». Un préambule que j’utilise encore aujourd’hui. Je n’ai pas le souvenir d’avoir mal vécu cette première expérience, ni d’avoir été maladroite. Bien sûr, j’ai dû certainement naviguer à vue, prudemment, pour parvenir à lui dire l’essentiel et à prononcer, mot après mot, les phrases qui scellent la gravité du propos.
M.M. : Je m’en souviens parfaitement – même si l’on parle plutôt de « maladie maligne » en hématologie – car il s’agit d’une patiente que je suis toujours, quelques trente ans après. Elle me rappelle régulièrement combien cette première consultation l’a marquée : « Vous savez, vous étiez jeune docteur, nous étions dans une pièce climatisée, complètement fermée, et heureusement, car sinon j’aurais sauté par la fenêtre! ». Pourtant, à l’époque, j’étais très contente de mon entretien. J’avais déroulé tout mon savoir médical, celui qui protège sans doute, pensant que c’était là le plus important. Je me rends compte maintenant que j’étais totalement passée à côté de l’essentiel : la sidération qu’accompagne l’annonce du diagnostic et la bascule brutale « en maladie ». L’oublier me paraît aujourd’hui impardonnable.
À LIRE : Faire face à la maladie grave. L’engagement d’une femme médecin, Mauricette Michallet avec Christine Durif-Bruckert, éditions érès, 2023.
Avec l’expérience, avez-vous trouvé la bonne façon d’annoncer une mauvaise nouvelle ?
M.H. : J’ai construit, au fil du temps, une sorte de « routine de l’annonce ». Comme une sorte de fil d’Ariane, il me guide, étape par étape. J’attache d’abord beaucoup d’importance à être présente et disponible pour ma patiente. Je veille également à connaître parfaitement son dossier médical, ses résultats d’examen, de sa biopsie, afin d’être précise dans les informations que je livre. Je reformule, si nécessaire, pour être sûre que les informations essentielles ont été entendues et je reste ouverte à toutes questions. Dans ce moment difficile, je m’applique à garder une attitude positive pour donner confiance à la patiente, pour lui montrer que je la soutiens. En revanche, je reste prudente sur ce qui va suivre, notamment sur la stratégie thérapeutique qui n’est pas de mon ressort. Avec l’expérience, j’ai affiné mon savoir-faire qui, conjugué à mon savoir être, permet de mieux savoir dire. Mais tout est toujours perfectible.
M.M. : Si la recette existait, je serais la première à m’en saisir ! Il existe bien un dispositif d’annonce qui assure au patient de bénéficier des meilleures conditions d’information, d’écoute et de soutien mais, en réalité, au regard de ma longue expérience, il est difficile de l’appliquer au pied de la lettre.
D’une part, parce qu’il n’y a pas que l’annonce du diagnostic mais une cascade d’annonces au cours du suivi d’un patient. D’autre part, parce qu’à l’hôpital, les consultations se succèdent à un rythme effréné, nous disposons donc de peu de temps.
Malgré ces contraintes, je veille toujours à cerner rapidement le profil de mon patient pour adapter mon discours et arriver à lui dire l’essentiel, de façon compréhensible mais aussi constructive. Je n’oublie pas non plus que j’ai face à moi « un sujet malade ». Je fais donc attention de ne pas prononcer certains mots trop vite ou trop tôt, et à garder une attitude positive, tournée vers l’avenir. Bien communiquer n’est pas inné, cela s’acquiert tout au long de sa vie professionnelle.
Qu’est-ce qui vous paraît le plus compliqué dans cet exercice ?
M.M. : Comme je l’ai dit, le manque de temps. C’est une source de grande frustration pour moi. Par ailleurs, il n’est aussi par toujours évident de ne pas être ébranlée par des situations complexes. Je pense par exemple au cas de femmes que je suis depuis des années, avec qui j’ai tissé une relation de profonde confiance, et à qui je dois annoncer que leur traitement ne fonctionne plus ou une récidive. Je sais par avance qu’il me faudra composer avec leurs émotions, leurs pleurs, leur colère, parfois même leur agressivité, tout en étant juste dans mes mots et empathique dans mon attitude. Ce sont des moments qui sont durs et qui m’affectent nécessairement.
M.H. : De trouver le bon équilibre : être à la fois professionnelle et empathique, juste dans les informations délivrées et rassurante. Laisser la place à l’émotion de ma patiente sans en être submergée. Je pense qu’être une femme médecin permet de se mettre plus facilement à la place de la patiente, mais je ne dois pas me laisser déborder par cet effet « miroir ».
À ÉCOUTER
Dans « Osons la vie : l’annonce du cancer », podcast créé par RoseUp, 9 femmes, de tous âges, de tous horizons, touchées par un cancer racontent, à voix nue et la mémoire à vif, l’annonce de leur cancer.