Anaëlle Guimbi a 20 ans. Belle comme le jour, elle décide de se présenter, en août dernier, au concours Miss Guadeloupe. Mais, la veille de l’événement, elle apprend son éviction. La raison ? Elle a posé seins nus. Le règlement de la compétition n’accepte pas de candidate ayant posé nue, ou seins nus, pour des photos « à caractère érotique ou pornographique ». Avec celle d’Anaëlle, on est très loin de tout ça : on y devine à peine sa poitrine sous son maquillage de body painting, les pétales de roses et les strass. Surtout, le cliché, pris en 2019, sert une noble cause : la sensibilisation au dépistage du cancer du sein. La décision du comité Miss France a révolté de nombreuses femmes.
Quelle est l’histoire de cette photo ?
Anaëlle G. : Cette photo a été réalisée l’année dernière pour Octobre rose. C’était l’idée d’un ami photographe guadeloupéen, MisteR MakeUp Artist. Il voulait sensibiliser les femmes au dépistage du cancer du sein en mettant en valeur la beauté du corps, sans choquer. Comme nous sommes aussi tous les deux maquilleurs, nous avons eu l’idée de ce body painting. C’était un projet à petite échelle. Nous n’avons diffusé ces photos que sur nos comptes Instagram personnels.
Vous êtes jeune, en quoi cette cause vous parle ?
Ma tante a été diagnostiquée d’un cancer du sein il y a trois ans. Malgré l’impact que la maladie a eu sur sa vie, elle s’est toujours montrée forte et résiliente. J’avais 17 ans à l’époque ; elle a été un modèle pour moi. Et en Guadeloupe, alors que nous sommes très exposés au cancer à cause de la pollution au chlordécone [un pesticide], le dépistage n’est pas dans nos habitudes. Les gens ne se sentent pas concernés. Encore moins les jeunes.
« Ma tante a été diagnostiquée d’un cancer du sein en 2017. Elle s’est toujours montrée forte et résiliente : un modèle pour moi »
Vous avez appris votre éviction la veille du concours de Miss Guadeloupe. Quelle a été votre première réaction ?
Je me suis sentie coupable. Il faut dire que l’on m’a prise à part et conduite dans une pièce avec un huissier de justice et les membres du comité. Dans ce contexte, même si je n’avais pas honte de cette photo, j’avais quand même l’impression d’avoir fait quelque chose de mal. En rentrant à l’hôtel, j’ai appelé mes parents. Ils m’ont tout de suite dit qu’il ne fallait rien me reprocher. Ça m’a soulagée.
Vous n’avez pas eu envie de contester cette décision ?
Non, je ne suis pas comme ça. J’ai accepté. Ce sont les règles. Quand je l’ai annoncé aux autres filles qui concouraient pour Miss Guadeloupe, elles étaient en larmes. Certaines étaient révoltées. On était très soudées et je pense que, si je leur avais demandé de boycotter le concours, elles auraient été solidaires. Mais il était hors de question pour moi de les empêcher de continuer. J’ai préféré transformer cette polémique en occasion de parler du cancer.
L’annonce de votre éviction a créé un raz de marée. Vous vous y attendiez ?
Pas du tout ! Quand j’ai appris que le concours s’arrêtait pour moi, j’ai posté un petit message sur les réseaux. Surtout pour que les gens arrêtent de voter pour moi. Je ne m’attendais pas à recevoir autant de mots de soutien. Mon téléphone n’arrêtait pas de sonner : on me proposait des interviews, de poser pour des marques… J’étais complètement dépassée. Je ne suis pas quelqu’un de méfiant. J’ai plutôt tendance à accorder ma confiance facilement. Mais là, toute cette attention portée sur moi, ça m’a stressée. J’avais peur que mes propos soient déformés. Heureusement, je suis bien entourée. J’ai fait le tri et j’ai dit non aux propositions qui ne servaient pas la cause.
Aujourd’hui, quels sont vos projets ?
Depuis quelques jours, je suis la marraine de l’association Les Amazones, qui soutient les femmes d’outre-mer touchées par le cancer. Je vais aussi participer, en partenariat avec une marque d’eau guadeloupéenne, à une campagne de sensibilisation au cancer du sein, cette fois à destination des hommes, qui ignorent souvent qu’ils peuvent être touchés. Là aussi, il y a un tabou à faire tomber. Enfin, j’ai un projet plus personnel pour l’émancipation des femmes, qui va allier maquillage et développement personnel. Mais c’est en cours de réflexion, je ne peux pas en dire plus pour l’instant…
Propos recueillis par Émilie Groyer
Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 19, p.10)