Le 5-Fluorouracile (5-FU) est l’une des chimiothérapies les plus prescrites pour le traitement des tumeurs solides (sein, colon, estomac, cancers ORL…).
Cet acronyme 5-FU ne vous dit rien ? En fait, il est utilisé en combinaison avec d’autres molécules dans différents protocoles. Dans le protocole FEC, prescrit dans les cancers du sein : “F” pour 5-Fluorouracile, “E” pour épirubicine et “C” pour cyclophosphamide. C’est aussi le “F” des protocoles CMF, FAC (cancers du sein), FOLFOX, FOLFIRINOX (cancers digestifs)…
Le 5-FU peut aussi être administré par voie orale sous la forme d’une prodrogue, la capécitabine (Xeloda®) : une molécule qui se transformera en 5-FU une fois dans l’organisme.
POUR EN SAVOIR PLUS : Retrouvez notre dossier complet sur les chimiothérapies à base de 5-FU ou de capécitabine ici.
Des effets indésirables
Comme toutes chimiothérapies, le 5-FU induit des toxicités cellulaires. C’est comme cela qu’il détruit les cellules tumorales. Toutefois, des toxicités sévères indésirables sont observées chez 10 à 40 % des patients1. Elles peuvent engager le pronostic vital du patient : atteintes hématologiques (diminution du nombre de plaquettes et de cellules immunitaires dans le sang), digestives (diarrhées, vomissements), troubles cardiaques, mucites, syndrome mains-pieds… Dans 0,2 à 0,8 % des cas1, ces toxicités sont mortelles. Ces toxicités surviennent précocement : en général, lors des 2 premières cures de chimiothérapie.
Entre 2005 et 2015, 1 505 cas d’effets indésirables graves dont 133 décès toxiques ont été déclarés aux centres de pharmacovigilance de Marseille. Un chiffre certainement sous évalué. L’INCa estime que près de 80 000 personnes seraient exposées chaque année à des chimiothérapies à base de 5-FU ou de capécitabine en France. Mathématiquement, on arriverait donc à un chiffre compris entre 160 et 640 décès par an. “Ensuite cela dépend du protocole de chimiothérapie administré. Le FEC, prescrit pour des cancers du sein est moins dosé en 5-FU que le FOLFOX, par exemple, prescrit pour des cancers digestifs. Les effets indésirables sont donc moins sévères. Le 5-FU est aussi très rarement utilisé seul, il est combiné à d’autres molécules. Il est donc difficile de savoir si le 5-FU est seul en cause dans les décès toxiques” nuance Joseph Ciccolini, pharmacologue à l’hôpital de la Timone à Marseille.
Pourquoi ces intoxications ?
La principale cause de toxicité est connue depuis les années 1990 : il s’agit d’un déficit total ou partiel en DPD (dihydropyrimidine déshydrogénase) chargée d’inactiver le 5-FU. Pour faire simple, chez certaines personnes, cette enzyme ne fait pas son boulot et laisse la molécule toxique s’accumuler dans leur corps. « En temps normal, le 5-FU est rapidement éliminé dans notre organisme par l’enzyme DPD. Mais pour les personnes qui ont un déficit, la dose standard de 5-FU qui leur est administrée est trop importante par rapport à celle qu’elles doivent recevoir, ce qui induit une toxicité pouvant être fatale », explique le Dr Michèle Boisdron-Celle, responsable du département de biopathologie du cancer à l’Institut de cancérologie de l’Ouest, à nos confrères du Figaro.
Des toxicités qui peuvent être prévenues
Le déficit en DPD peut être évalué à l’aide d’une simple prise de sang. C’est ce que fait le CHU de la Timone à Marseille qui propose ce test en routine depuis 2009. « Nous réalisons un typage préventif de tous les patients hospitalisés et éligibles pour une chimiothérapie à base de 5-FU ou de capécitabine. En cas de risque avéré (déficit en DPD), une adaptation des doses est alors proposée en concertation avec l’équipe médicale. Il ne s’agit pas en effet de se passer du 5FU dont l’efficacité est reconnue, mais bien de personnaliser les doses de façon à maintenir une qualité de soins tout en limitant le risque de toxicité sévère. A Marseille, cette implantation s’est traduite par une diminution nette du nombre de cas toxicités sévères, sans pour autant mettre en cause l’efficacité thérapeutique du traitement. Le typage préventif de la DPD s’inscrit donc dans le développement d’une médecine de précision en oncologie », souligne le Dr Joseph Ciccolini, pharmacologue au CHU de la Timone à Marseille.
Depuis que l’hôpital de la Timone réalise le dépistage du DPD, les médecins ont obtenu la preuve que l’administration de doses réduites ne diminue pas l’efficacité du traitement. « Pendant un an et demi, nous avons suivi 200 patients pris en charge au service ORL, explique le Dr Ciccolini. Environ 10% d’entre eux présentaient un déficit en DPD. Nous leur avons administré des doses réduites de 20% à 50% par rapport à la posologie standard et nous n’avons pas constaté de différence d’efficacité par rapport aux patients non-déficitaires. Il n’y a pas eu de perte de chance vis-à-vis du traitement cancer.»
Plusieurs tests existent
La majorité des toxicités au 5-FU et à la capécitabine peuvent donc être anticipées par un test… ou plutôt des tests. Car il en existe plusieurs, tous réalisés à partir d’une simple prise de sang.
– Les tests de génotypage recherchent des mutations dans le gène DPD (DPYD) qui provoquent la déficience de l’enzyme. Chaque individu possède ses gènes en double exemplaire : une copie héritée de sa mère, l’autre de son père. La déficience est partielle lorsqu’une seule des 2 copies est mutée – on parle d’hétérozygotie – car l’autre copie non-mutée assure encore sa fonction. La déficience est totale lorsque les 2 copies du gènes sont mutées – on parle d’homozygotie.
Quatre mutations entrainant une déficience de la DPD ont à ce jour été identifiées (*2A, *13, p.D949V et HapB3). Il en existe très probablement beaucoup d’autres. Les 4 mutations connues ne couvrent en effet pas tous les cas de toxicité. On estime que seulement un quart des toxicités sévères précoces au 5-FU ou à la capécitabine peuvent être expliquées par la présence d’au moins une de ces mutations1. Par ailleurs, ces tests ne permettent pas de prédire les cas de toxicité chez les personnes d’origine africaine ou asiatique : les 4 mutations identifiées sont en effet absente dans ces populations.
– Les tests de phénotypage déterminent si l’enzyme DPD assure ses fonctions (on parle aussi de test fonctionnel). Il existe plusieurs façons de le mesurer.
Dans notre corps, l’enzyme DPD permet de transformer l’uracile (U), une petite molécule qu’on retrouve notamment dans l’ARN, en dihydrouracile (UH2), qui sera à son tour transformé par d’autres enzymes en alanine, un acide aminé essentiel pour le bon fonctionnement de notre organisme.
On peut donc déterminer si la DPD d’une personne assure efficacement son rôle en mesurant l’uracile dans son sang (ou uracilémie) : si l’uracilémie est trop importante, cela signifie que la DPD ne fonctionne pas efficacement. Depuis le 18 décembre 2018, le dosage de l’uracilémie est le test de référence (voir notre encadré).
On peut aussi calculer le ratio entre le dihydrouracile et l’uracile (UH2/U) : s’il est faible, cela signifie qu’il y a plus d’uracile que de dihydrouracile dans le sang et que la DPD joue mal son rôle.
– Un test multiparamétrique est proposé par la société ODPM et son partenaire Eurofins Biomnis : le 5-FU ODPM Tox®. Il intègre les résultats du génotypage (qui inclut une 5ème mutation, la Del TCAT-DPYD*7), du phénotypage (uracile et dihydrouracile) et prend également en compte les paramètres physiologiques du patients (âge, sexe…) et le protocole de chimiothérapie envisagé. L’ensemble des résultats est ensuite analysé par un algorithme qui détermine le risque de toxicité.
Dix-sept laboratoires en France en mesure de réaliser ces tests
Actuellement, 17 laboratoires académiques (Centre de Lutte Contre le Cancer, CHU..) et 2 laboratoires privés (Biomnis et Cerba) sont en capacité de réaliser en routine les tests de recherche du déficit en DPD (voir la carte ci-dessous). Tous ne proposent pas les deux types de tests : seuls 8 réalisent à la fois le génotypage et le phénotypage (voir le tableau ci-dessous).
Toutefois, les pratiques évoluent. Certains laboratoires qui ne pratiquaient jusqu’alors que le génotypage sont en train de développer des plateformes de phénotypage. Les services s’organisent également pour répondre aux demandes croissantes depuis les dernières recommandations (voir encadré).
Source : Article Loriot et al. Bull Cancer 2018.
Plus qu’un seul test remboursé
L’ensemble des tests de déficience en DPD étaient jusqu’à présent remboursés aux hôpitaux dans le cadre du RIHN : le génotypage et le phénotypage de la DPD sont inscrits depuis 2016 sur la « Liste Complémentaire des Actes de biologie médicale »4, soit 110,70 € pour le génotypage et 40,50 € pour le phénotypage. Concernant le test 5-FU ODPM Tox®, 27 € restent à la charge de l’hôpital. Ce surcoût correspond à l’utilisation de l’algorithme.
Depuis la décision de la HAS (voir encadré), seul le test d’uracilémie est reconnu. Son remboursement le sera dorénavant par l’assurance maladie ce qui permettra sa prise en charge, qu’il soit réalisé par un laboratoire public ou privé.
En revanche, l’autorité de santé considère que le génotypage et le dosage du dihydrouracile ne sont pas suffisamment efficaces pour déterminer la déficience en DPD. Ces tests devraient donc sortir de la liste complémentaire en début d’année 2019. Il est trop tôt pour savoir si les laboratoires qui réalisent déjà ces tests continueront à le faire et comment ils les financeront le cas échéant.
Un test à réclamer même si on a déjà commencé un traitement à base de 5-FU
Si vous commencez un traitement avec du 5-FU, exigez de votre oncologue ce dépistage du déficit en DPD (logiquement il devrait le faire de lui-même mais un patient informé est un patient en meilleur santé !). Si vous êtes au milieu de votre traitement et que vous n’avez eu pour le moment aucune toxicité sévère, c’est que, très probablement, vous ne portez pas ce déficit en DPD.
Pourtant, vous devez rester à l’écoute des alertes et des signaux, comme le recommande le Dr Ciccolini : « Le déficit en DPD se traduit par des toxicités sévères précoces, c’est-à-dire survenant lors de la première ou deuxième cure de 5-FU ou la première semaine de prise de Xeloda®. A priori, si le patient n’a pas de toxicités sévères lors des premières expositions, il est inutile de se faire typer. Si, en revanche, il y a eu une première alerte lors des toutes premières cures (même s’il s’agit d’une toxicité « gérable », comme une mucite sévère par exemple ou un syndrome main-pied), cela peut constituer un signe et mieux vaut se faire dépister. Dans le cancer du sein, par exemple, certains protocoles comme le FEC100 avec du 5-FU peu dosé (500 mg) peuvent déclencher des premières toxicités sévères mais gérables (du type mucite) ; ces toxicités risquent de devenir beaucoup plus graves si le traitement se poursuit avec un protocole plus agressif incluant du 5-FU ou du Xéloda®. Tout signal d’alerte doit donc être pris en compte ! »
LES RECOMMANDATIONS DE LA HAS ET DE L’INCa
Le 18 décembre 2018, la Haute autorité de santé (HAS) et l’Institut national du cancer (INCa) ont retenu le dosage de l’uracilémie comme test le plus fiable et le plus simple à déployer à l’échelle nationale à ce jour, pour le dosage de la déficience en DPD et ont fixé les seuils de référence :
- en cas d’uracilémie supérieure ou égale à 150 ng/ml (évocatrice d’un déficit complet en DPD), le traitement par fluoropyrimidines est contre-indiqué, compte tenu du risque de toxicité très sévère. En cas d’absence d’alternative thérapeutique, le recours aux fluoropyrimidines ne peut être envisagé qu’à dose extrêmement réduite et sous surveillance très étroite. Dans ce cas, un suivi thérapeutique pharmacologique (dosage sanguin du médicament) est fortement recommandé ;
- en cas d’uracilémie comprise entre 16 ng/ml et 150 ng/ml (évocatrice d’un déficit partiel en DPD), et sur la base d’un dialogue entre le laboratoire et l’équipe médicale, la posologie initiale des fluoropyrimidines doit être adaptée en tenant compte du niveau d’uracilémie mesuré, en plus des autres facteurs de risque de toxicité déjà pris en compte (protocole de traitement, âge, état général du patient…). Un réajustement thérapeutique doit être envisagé dès le deuxième cycle de chimiothérapie en fonction de la tolérance au traitement et/ou du suivi thérapeutique pharmacologique s’il est disponible.
Les génotypages ont en revanche été jugés à ce jour inefficaces pour détecter tous les cas de toxicités sévères ou modérés. « Nous continuons à rechercher d’autres évènements génétiques pour tenter de faire progresser la valeur prédictive du génotypage, aujourd’hui pas assez sensible » explique Joseph Ciccolini qui a contribué à l’élaboration des recommandations.
L’analyse du ratio UH2/U est également écartée à l’heure actuelle : « La mesure de l’UH2 (qui permet ensuite de calculer en effet un ratio UH2/U) requiert une technicité analytique qui pourrait restreindre le nombre de laboratoires dans les CHU ou les centres anticancéreux réalisant le test. L’objectif est de multiplier les centres analytiques pour assurer un maillage complet du territoire, au delà des gros CHU ou centres réalisant déjà ce typage. En outre et après confrontation des données disponibles, il apparait que c’est la valeur de U (qui impacte ensuite sur la valeur du ratio) qui est le premier marqueur d’alerte » explique l’expert.
Ces recommandations pourraient être modifiées comme le précise le Dr Ciccolini : « Elles posent une première base permettant d’éviter les toxicités les plus dramatiques. Elles sont peut-être appelées à évoluer au fil du temps, en fonction des observations que nous colligerons.»
Emilie Groyer et Céline Lis-Raoux
Mis à jour le 2/09/2019