Ricardo était un homme très actif. Entrepreneur, travailleur acharné, il œuvrait avec son fils Boris sur des chantiers de BTP et avait, comme son cardiologue lui avait confié, quelques mois, auparavant « le cœur d’un futur centenaire ». Sauf que Ricardo n’a pas atteint 100 ans. Ni quatre-vingt-dix. Ricardo est mort d’un traitement de chimiothérapie qui a « mal tourné ». En moins de trois jours. Le 5-FU.
« Un petit cancer, vite soigné »
« Mon père était une force de la nature, confie son fils Boris. Il était en super forme. En février dernier, il est entré à la clinique pour un calcul biliaire. La coloscopie a mis en évidence une petite tumeur. Le médecin était très confiant et nous a assuré que dans trois mois « ce serait fini ». Papa est entré à la clinique le jeudi pour recevoir sa perfusion de 5-FU. Pas de test préalable. Tout cela avait l’air d’une banalité totale. Et puis, on avait confiance. Le vendredi, ma mère m’a téléphoné pour me dire qu’il n’était pas en forme. Samedi matin, c’était pire. J’ai sauté dans ma voiture et je suis allé le chercher ; il ne pouvait déjà plus se lever. Il était conscient mais avait horriblement mal. Il m’a demandé de ne pas l’emmener à l’hôpital mais dans la clinique où il était soigné. Aujourd’hui, je me dis que je l’ai ramené chez les charlatans qui l’ont tué et ça me fait mal ».
Cause du décès: « intolérance à la chimio »
Admis aux urgences, Ricardo reste quatre heures à hurler sans discontinuer. A treize heures, on le monte en réanimation. Apparemment stabilisé à dix-huit heures, il décède dans la nuit. Sur son rapport, l’urgentiste note que le patient est « probablement décédé suite à sa chimiothérapie ».
« Quand je suis revenu à la clinique, le lendemain, j’ai été reçu par l’infirmière des urgences qui m’a traité par-dessus la jambe, genre « bon il était vieux, ça arrive »… Quant à l’anesthésiste, j’avais le sentiment qu’on discutait au comptoir du bar-tabac. C’est insupportable. On m’a vraiment pris pour un gogo. Mon père venait de mourir en trois jours d’un traitement qu’il n’avait pas supporté, mais ce « n’était pas grave», sous prétexte qu’il avait déjà un cancer ? Moi, je travaille dans le bâtiment. Si je fais une erreur, que je casse un mur porteur et que la maison tombe sur une famille, je ne vais pas lui dire « oops, je me suis trompé – mais ce n’est pas grave, vous avez qu’à faire d’autres enfants ! » Et là, on ne fait pas de test DPD à mon père, il meurt en se tordant de douleur et en plus il faut admettre que ce n’est pas grave, parce que, finalement, il avait un cancer ? ».
L’insupportable impunité
Lorsque Boris comprend que son père n’a pas supporté sa chimiothérapie et que des tests préalables existent et sont recommandés depuis deux mois par l’ANSM – test dont on n’a jamais même parlé à son père- son sang ne fait qu’un tour: « Je trouve cette impunité insupportable. Personne ne nous a parlé de déficience en DPD, ni des risques de cette chimiothérapie. Pourquoi ? Si cela avait été pour lui, ou un de ses proches, je suppose que le médecin aurait pris le temps de prescrire le test, non ? Mais la mort d’un vieux cancéreux, tout le monde s’en fout ».
Et Boris, de rappeler le préalable à toute carrière de médecin: « Primum non nocere ». D’abord ne pas nuire.
Céline Lis-Raoux