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24 heures avec une Infirmière en Pratique Avancée (IPA)

{{ config.mag.article.published }} 30 décembre 2022

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Photographie de Laurent Villeret

Évaluer, orienter et même prescrire ou adapter un traitement, c'est le quotidien des infirmières en pratique avancée... Ester, 31 ans, est l'une d'elles. Un vrai couteau suisse à l'accent espagnol. Nous l'avons suivie une journée...

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26 avril 2022

9h00

Ester Molina franchit les portes de l’hôpital de jour du service de l’institut Curie de Saint-Cloud, dans les Hauts-de-Seine. À cette heure-là, tout est encore très calme, le hall est quasi désert, mais dès l’entrée le port du masque reste obligatoire, pour tous.

Depuis plus d’une année maintenant, la jeune femme de 31 ans exerce ici en tant qu’infirmière en pratique avancée (IPA), comme indiqué blanc sur noir sur la plaque fixée à côté de la porte de son bureau. À l’intérieur de celui-ci, la déco est spartiate, l’espace petit, mais finalement l’ensemble est propice aux rendez-vous en tête à tête. Ester intervient auprès de patients qui viennent ici pour suivre leur cure de chimiothérapie, et plus particulièrement auprès de ceux qui ont besoin d’un suivi rapproché du fait de « leur parcours complexe, souvent long », souligne sa référente, le Dr Cindy Neuzillet, du service d’oncologie digestive.

« « Bienveillance » est un mot auquel je suis très attachée » – Ester

Après un master universitaire conçu pour les infirmières pratiquant dans le domaine de l’oncologie, Ester a acquis un bagage médical qui lui donne une vision plus affinée de l’état global des patients, et des compétences plus larges. « Ester évalue, reformule, adapte, éduque, prévient, prescrit, oriente », précise le Dr Neuzillet. La néo-trentenaire fait partie de la centaine d’IPA qui exercent actuellement en France dans les services d’oncologie, dont 5 sont à l’institut Curie. Disposant d’une plus grande autonomie que ses autres consoeurs, elle aime toutefois rappeler qu’elle reste une infirmière : « Certes, j’exerce différemment, mais l’esprit d’équipe ne me quitte pas ! » s’exclame-t-elle.

9h30

Ester prend connaissance sur son ordinateur, via un planning commun au service, de la liste des patients à voir. À portée de main : un café et surtout son téléphone, son meilleur ami… ou ennemi ! Son premier patient du jour est une patiente : Lanxin, 46 ans. Elle la suit depuis quelques mois déjà. Opérée d’un cancer du côlon, cette dernière vient pour sa septième cure de chimiothérapie.

Sous le masque chirurgical, on devine le sourire de notre IPA lorsqu’elle l’accueille. Avec son accent chantant hérité de ses origines andalouses, qui réchauffe immédiatement l’atmosphère, Ester demande : « Comment ça va aujourd’hui ? » Cette question, on peut la poser de mille et une façons, par pure politesse, ou avec ce qu’il faut de chaleur et d’intérêt dans la voix pour susciter l’échange et la confiance. C’est bien ici le cas. Et Lanxin se lance. Elle dit aller bien, souligne qu’elle a repris du poids et retrouvé son énergie. Elle veut savoir – et comprendre – si son état lui permet de suivre sa séance de chimiothérapie du jour.

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C’est dans son petit bureau de l’institut Curie de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) qu’Ester enchaîne les consultations. Arrivée d’Espagne en 2012, la jeune infirmière s’est spécialisée dans la prise en charge de la douleur avant d’obtenir, en 2020, son diplôme d’IPA.

 

Toutes deux maintenant penchées sur l’écran de l’ordinateur, concentrées, passent en revue les constantes biologiques. Ester s’arrête un instant sur une valeur importante, celle de la CRP (protéine C réactive). Elle est en baisse, ce qui atteste une bonne efficacité du traitement. Lanxin soupire, et se détend. L’entretien se poursuit : « Et l’appétit, c’est mieux ? Vos goûts ne sont pas modifiés ? La bouche n’est pas trop sèche ? Montrez-moi votre langue ! »

Ensemble, elles se déplacent devant le miroir. Ester explique : « Vous voyez, votre langue est chargée, il y a sans doute une petite mycose et il faut la traiter. » Elle retourne à son bureau pour rédiger l’ordonnance tout en indiquant à Lanxin comment elle devra prendre le médicament qu’elle lui prescrit et combien de temps. L’occasion de faire un peu d’éducation thérapeutique.

Les échanges, en toute liberté, ont duré une trentaine de minutes. Lanxin a maintenant le feu vert pour se rendre en salle de chimio. « Vous pouvez aller au box 4, l’infirmière vous y attend », lui indique Ester.

10h15

C’est au tour de Vincent*. Il est traité par immunothérapie pour un cancer métastasé au côlon. D’emblée le sexagénaire évoque les problèmes qu’il rencontre avec sa sonde nasogastrique : « Cette nutrition par pompe 7 jours sur 7 est un frein énorme à ma vie personnelle et sociale. Je ne sors plus guère. Je tourne en rond. » Il ajoute : « J’ai du mal à la supporter, car pour moi elle signe la gravité de ma maladie. »

Respectueuse des mots et des silences de ce patient qui se livre sans tabou, Ester écoute, entend. Et c’est d’un ton rassurant qu’elle reprend la parole : « Votre bilan s’améliore, votre poids se stabilise. Je vous propose de réduire la nutrition entérale1 jusqu’à votre prochaine cure, dans 3 semaines. Et, si tout va bien, on l’arrêtera à ce moment-là. » Sous le masque de Vincent, une ébauche de sourire. L’infirmière lui suggère également la prise, si besoin, de pastilles à base de lidocaïne pour adoucir la gorge et réduire l’inconfort de la sonde gastrique.

À la sortie de sa consultation, Vincent confie : « Parler de soi, poser des questions, être un véritable sujet de soins, ça aide… J’en ai besoin pour traverser tout ça. »

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Arrivent en salle de chimio les patients qu’Ester a jugés aptes à poursuivre leur traitement. Dans l’intimité de son bureau, ils se confient volontiers sur leur vécu, leurs émotions, mais aussi leurs besoins. Des moments d’humanité qui donnent tout son sens à son métier.

10h55

Dans le bureau, Valérie, une stagiaire, étudiante IPA, observe le savoir-faire et le savoir-être d’Ester. L’assurance de sa tutrice dans ses prises de décision et la fluidité de ses explications lui font grande impression. Puis on prévient Ester qu’une de ses patientes est arrivée. Elle est handicapée. Pas question de lui imposer un parcours compliqué à travers le dédale des couloirs pour la recevoir dans son petit bureau, si peu pratique pour une personne en fauteuil roulant. Une fois n’est pas coutume, c’est donc dans une chambre et au lit de la dame qu’Ester va mener son entretien de préchimiothérapie.

11h30

Dernière consultation de la matinée avec Jean-Jacques*, un patient de 70 ans en traitement pour un cancer du pancréas. Il sort une feuille de papier où il a noté tous les « points importants » qu’il est bien décidé à évoquer un par un ce matin-là. Une façon pour lui de garder « un peu la main sur la maladie, d’être moins passif ».

Premier point, son poids, qui doit continuer de progresser ; puis ses vertiges, qui régressent ; et son transit, qui se normalise. Il y a aussi la marche, qu’il a reprise ; et, par-dessus tout, son alimentation parentérale2, dont il aimerait bien voir les rations caloriques journalières diminuer.

Mais est-ce possible ? Ester évalue l’état clinique et biologique de son patient avant de se prononcer. « Ma priorité, nous explique-t-elle, c’est de rester très attentive aux besoins de la personne soignée, qu’ils soient médicaux, psychologiques, sociaux, professionnels. Je dois également anticiper, et faire des propositions cohérentes, dans l’intérêt du patient et dans le respect de son vécu avec la maladie cancéreuse. C’est un challenge intellectuel ! »

Jean-Jacques ressort de son bureau plein d’espoir. Oui, on va pouvoir diminuer la part de nutrition parentérale, mais cela se fera progressivement. Et peut-être même pourra-t-il s’en passer « d’ici à un mois, si tout va bien ».

EN CHIFFRES

935 IPA diplômés en France en 2021
100 exercent en oncologie en 2021
1425 sont actuellement en formation

Source : Unipa, mai 2022

12h30

À cette heure-là, il arrive que la jeune femme profite de la pause déjeuner pour aller courir au parc de Saint-Cloud, avec quelques collègues. Mais, cette fois, elle fait l’impasse sur ces 30 minutes d’exercice, direction la cafétéria ! Une petite détente bienvenue pour Ester et Valérie, dont les journées exigent attention et concentration.

Entre l’entrée et le dessert, masques baissés, les sourires s’affichent. Ce petit moment de convivialité se poursuit en salle de repos avec l’ensemble de l’équipe de l’hôpital de jour. Du café, des brownies, des éclats de rire comme autant d’énergie prise avant de se remettre au travail.

13h50

Ester passe une tête dans le bureau du Dr Neuzillet. L’occasion de faire un point de visu sur les patients consultés le matin, et notamment sur les adaptations opérées par Ester concernant leurs traitements. « L’infirmière en pratique avancée n’est pas là pour se substituer à l’oncologue, précise la docteure. Lors de ses consultations, contrairement à nous médecins, qui courons sans cesse après le temps, Ester est disponible pour écouter et répondre aux problématiques exprimées. C’est une interlocutrice ressource pour la personne soignée. »

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Si une IPA est habilitée à modifier ou adapter un traitement ou encore à prescrire un examen, ses décisions sont toujours discutées et validées par un oncologue référent. Pour Ester, c’est le Dr Neuzillet, avec qui elle a noué une belle relation de confiance.

14h20

En face de Daniel*, qu’elle voit 10 jours après une intervention chirurgicale qui a interrompu sa chimio, Ester évoque la reprise du traitement. Elle sait que le patient a eu des problèmes circulatoires lors des premières cures réalisées par injection. « Nous pourrions passer à la voie orale », suggère-t-elle. Cette proposition a été, au préalable, validée par son oncologue référente. Reste à savoir ce que va en penser l’intéressé.

Pour qu’il ait tous les éléments en main, l’IPA détaille en quoi cela consiste, comment et quand prendre les comprimés. Elle explique qu’il faudra procéder à une surveillance biologique – notamment de la fonction rénale – pour évaluer la tolérance clinique et les possibles effets secondaires du nouveau protocole. Daniel hoche la tête, demande ici et là des précisions, puis accepte.

« Je suis disponible, vous le savez. N’hésitez pas à m’appeler si besoin », ajoute Ester avant de le laisser partir. Rester joignable et réactive fait partie du job. Le rappeler sans cesse aux patients est devenu un réflexe.

15h00

Fin des consultations, ce qui est plutôt rare à cette heure-là, en général elles s’enchaînent jusqu’à 18 heures. Avant de fermer son ordinateur, Ester vérifie que tous les dossiers des patients rencontrés aujourd’hui sont à jour, qu’il ne manque aucun des derniers comptes rendus ou des commentaires utiles à l’ensemble de l’équipe, et que toutes les prises de rendez-vous ont bien été notées.

Pour une fois, elle a du temps pour se plonger dans ses notes de cours, ceux qu’elle dispense notamment à des futurs IPA à l’université, et dans ses notes de recherches pour son doctorat en santé publique : un nouveau challenge, dans lequel elle s’est lancée en septembre 2022. Elle espère bien l’obtenir en 3 ou 4 ans. Ester est une infirmière en pratique avancée qui avance vite !

MINIBIO

1991 Naissance à Grenade (Espagne).
2012 Diplôme d’infirmière en poche, elle quitte l’Espagne pour la France.
2016 Formée à la prise en charge de la douleur, elle est nommée infirmière référente douleur à l’institut Curie de Saint-Cloud (92).
2020 Elle obtient son master 2 IPA oncologie et hémato-oncologie.
2022 Elle exerce en oncologie digestive.

Photographies de Laurent Villeret

Retrouvez cet article dans Rose Magazine (Numéro 23, p. 52Numéro 23, p. 52)

1. La nutrition entérale consiste à apporter, grâce à une solution nutritive, l’alimentation directement dans l’estomac.
2. La nutrition parentérale est une alimentation administrée par voie intraveineuse par le biais d’un cathéter placé dans une veine.
* Le prénom a été changé.


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Bernadette Fabregas Gonguet

Journaliste et ancienne infirmière

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